Protestants, juifs, catholiques et musulmans estiment qu’elle modifie le texte de 1905 en donnant un grand pouvoir de police administrative, de contrôle et de répression aux préfets.
À vouloir lutter contre le «séparatisme» islamiste par une loi jugée trop contraignante par toutes les religions, le gouvernement risque d’opérer une séparation inattendue entre les cultes et l’État.
Toutes les religions, y compris l’islam, sont certes d’accord pour s’opposer à l’islamisme, objet central de «la loi confortant les principes de la République» mais, prévient Haïm Korsia, grand rabbin de France, «il faut faire attention aux effets collatéraux sur les autres religions, d’autant qu’il y a des cultes qui ont été exemplaires depuis toujours avec la République». Ils ne voient pas en effet pourquoi ils devraient payer maintenant leur liberté si chèrement acquise par la facture laissée par des groupes islamistes.
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Haïm Korsia sera entendu, ce mercredi, par la commission des lois du Sénat. La Chambre haute auditionnera le même jour Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France (CEF). Ce dernier a d’ailleurs écrit «solennellement» au nom de tous les évêques à François de Rugy, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale - où le prélat avait été auditionné le 4 janvier - pour dire noir sur blanc au législateur le fort «embarras» de l’Église catholique.
Le Figaro a pu se procurer ce document. Technique et pragmatique, il n’a rien d’une réaction épidermique. Il s’emploie à démontrer la gravité des problèmes posés par plusieurs articles importants du projet de loi. Ainsi de pointer une «régression étonnante» quant à confier «au préfet», à date régulière, «la charge de reconnaître ou non un culte en tant que tel». Des «réserves sérieuses» sont aussi émises contre l’article définissant «le contrat d’engagement républicain» car il ouvre toutes les «interprétations arbitraires».«Très préoccupant» également l’article permettant «à l’autorité administrative de fermer des lieux de culte».
Je m’inquiète de voir altéré de manière significative l’équilibre mis en place à partir de la loi de 1905
Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France
Irrecevable aussi pour les évêques, sur un autre plan, l’article de la loi concernant l’enseignement, car «l’État ne peut prétendre à être le seul éducateur» au détriment du «droit des parents à choisir le mode d’instruction» et «du respect du caractère propre des organismes privés sous contrat».
Enfin, au sujet des associations cultuelles, l’Église de France considère comme une «atteinte à (sa) liberté de gestion» l’«accroissement des contrôles», même si elle est favorable à «la transparence économique et financière». Mgr de Moulins-Beaufort estime ainsi que «pour acquérir des moyens nouveaux d’empêcher les islamistes radicaux de mener à bien leur projet, l’État multiplie les contrôles et organise une nouvelle mise sous tutelle des cultes». Il tire la sonnette d’alarme: «Je m’inquiète de voir altéré de manière significative l’équilibre mis en place à partir de la loi de 1905, et je m’inquiète aussi de l’accroissement considérable du pouvoir de la police administrative des préfets.» Et de conclure: «La loi de 1905 est une loi de liberté. Elle risque, avec ce projet de loi, d’être transformée en une loi de contrôle, de police et de répression.»
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Venant d’un homme réputé pour sa modération, la charge de Mgr de Moulins-Beaufort exprime une gravité rare. Des craintes qui sont partagées par la famille protestante, évangéliques y compris. Sur tout un pan de critiques, les griefs recoupent ceux des catholiques mais ils attaquent aussi des points spécifiques, dont l’excès de contrôles administratifs et financiers des associations 1905. Les protestants en sont des experts puisqu’ils vivent sans problème majeur sous ce régime depuis leur création, il y a cent quinze ans!
Inquiets, ils ont déjà sonné l’alerte, la semaine dernière.La sage Fédération protestante de France, «conteste» carrément ce projet de loi car «c’est la liberté même de culte qui est touchée», assure François Clavairoly, son président. Après avoir rencontré leurs députés, les responsables laïcs d’associations protestantes, accompagnés des pasteurs religieux, vont exposer cette semaine toutes ces préoccupations, localement mais aussi dans toute la France, à leurs sénateurs.
«On n’avait jamais fait cela depuis 1905, confie François Clavairoly. En tout cas, nous ne sommes pas un lobby, ni un groupe de pression, ni une communauté communautariste. Nous agissons à découvert comme des citoyens reliés avec la société parce que l’affaire est trop sérieuse. Nous nous retrouvons d’ailleurs sur beaucoup de points critiques de la loi avec les juifs, les musulmans et les catholiques. L’objectif visé était de rendre attrayante la loi de 1905, or on la surveille, on la bride, on la contrôle!»
Les musulmans? Ils font profil bas. Ils sont surtout déchirés par l’autre volet du projet de loi, la création d’un conseil national des imams, assortie d’une charte républicaine. Cette initiative, poussée par Emmanuel Macron, est soumise pour l’heure à des tirs de barrage émanant d’une partie significative des imams.
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