>>>>>29.07.2202 ..... - Cette mystérieuse communauté, autrefois qualifiée de secte et menée par un influent gourou, subsiste dans la plus grande discrétion sur les collines du Verdon.
Perché sur la colline du Verdon, du haut de ses 21 mètres, difficile de manquer la statue du «Christ cosmique» qui embrasse du regard les eaux splendides du lac de Castillon. Armé d'une épée, il toise les habitations du petit hameau de la Baume, à quelques kilomètres de la belle Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Cette gigantesque sculpture de métal est l'un des seuls éléments qui trahit la présence de la mystérieuse cité sainte du Mandarom, depuis les habitations de la Baume. Niché au cœur du parc naturel régional du Verdon, à 1200 mètres d'altitude, le monastère s'étend pourtant sur plusieurs dizaines d'hectares et contient pléthore de monuments. Un véritable «Disneyland» des religions, imaginé il y a maintenant 53 ans par le martiniquais Gilbert Bourdin. Depuis son décès en 1998, ses adeptes perpétuent sa croyance en l'«aumisme», qui vise à «unir tous les courants religieux de la terre». Et ce, dans la plus grande discrétion.
Bouddha géant, «Christ cosmique» et archanges armés
Caché derrière d'immenses grilles, le monastère du Mandarom - ou «montagne sacrée» - ouvre ses portes à l'extérieur pour des visites guidées seulement. Nous nous y engouffrons aux côtés d'un couple de quinquagénaires curieux. Tunique orange vive, turban rouge orné de symboles religieux autour de la tête, un «prêtre de l'aumisme» nous guide à travers le monastère. Pour la modique somme de cinq euros. Une fois à l'intérieur, notre regard ne sait où se poser face à la multitude de constructions. Des temples, une mosquée, une synagogue, un immense bouddha assis de 22 mètres… Ici, tout est démesuré. Sauf les petites cases qui servent de logement à la dizaine de moines qui vit sur place. «Ils ont huit heures de prières, huit heures de travaux pour entretenir le lieu et ensuite huit heures pour dormir et faire leurs activités personnelles», détaille le prêtre. Plus loin, un réfectoire accueille les «sœurs» et les «frères». Mais hommes et femmes ne se mélangent pas et occupent chacun un côté de la table.
C'est ici que Gilbert Bourdin, un ancien professeur de yoga au regard bleu électrisant, a tenté pendant plusieurs dizaines d'années, de diffuser sa «religion universelle de l'unité des visages de Dieu». Également surnommé «sa Sainteté le Seigneur Hamsah Manarah», le fondateur de «l'aumisme» apparaissait toujours coiffé d'une tiare étincelante déposée sur son crâne dégarni. Notre guide évoque, longuement, la «doctrine du maître». Si le but est d'associer «toutes les religions», le culte reste toutefois très proche de l'hindouisme, croit en la réincarnation et utilise le «Aum» comme mantra pour ses prières. Les adeptes sont végétariens ; yoga et naturopathie sont également conseillés.
En 1996, un rapport parlementaire qualifie le Mandarom de «secte». Et pour cause: six ans plus tôt, Gilbert Bourdin, qui se targuait déjà d'être le fondateur d'un «nouveau courant religieux», s'était autoproclamé «messie cosmoplanétaire». «Il a pris l'hindo-bouddhisme et l'a adapté au business occidental, analyse Didier Pachoud, président du Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi). Il se sert du Christ, mais c'est un christ bouddhique. Idem pour Mahomet. Et, comme toutes ces croyances ont besoin d'un maître, il devient le messie attendu par “toutes les traditions”.» Il dispose d'ailleurs d'une statue à son effigie, à taille humaine celle-ci. Le Mandarom avait, en effet, fait polémique en érigeant un bouddha prenant les traits de Bourdin, haut de 33 mètres. La statue sera finalement dynamitée le 6 décembre 2001 car construite sans permis, selon la justice.
Lors d'une interview donnée au Monde , en 2008, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) de l'époque a cependant cité le mouvement parmi les groupes qui étaient «rentrés dans les clous», depuis la mort du «gourou», en 1998. Officiellement, la «montagne sacrée» est devenue l'association loi 1901 du «Vajra triomphant» dirigée par Christine Amory-Mazaudier, chercheuse en physique affiliée à l'université Pierre et Marie Curie, ancienne du CNRS et désormais à la retraite. Le temple est même classé «numéro 1 sur 2 des jeux et divertissements à Castellane» par le site de conseils touristiques Tripadvisor, pour ses visites organisées le samedi et dimanche, et tous les jours pendant les vacances scolaires.
Le Mandarom est-il «rentré dans les clous»? Difficile de le savoir, tant ses adeptes demeurent fermés au monde extérieur. En se dirigeant vers la sortie de la cité sainte toutefois, on s'étonne de croiser deux archanges armés de pistolets lasers, disposés comme s'ils étaient les gardiens du lieu. «C'est pour chasser les forces maléfiques», répond le religieux, imperturbable. Car Gilbert Bourdin n'hésitait pas à organiser des chasses pour éliminer les «lémuriens invisibles venus de Pluton», considérés comme des forces démoniaques. «En plus de la religion, il y avait tout le discours parano chez Bourdin, le côté magique qui diabolise tout le monde», avance Didier Pachoud. Les habitants de la Baume, lieu-dit de Castellane, s'en souviennent d'ailleurs très bien. «On les entendait hurler dans la forêt, la nuit, pendant qu'ils chassaient leurs lémuriens invisibles armés de pistolets en plastique, se rappelle un couple de septuagénaire, qui a toujours habité le hameau. Quand ils faisaient leurs prières, on les entendait aussi. Il y avait de la musique, des tambours…»
Le couple habitait déjà le village quand Gilbert Bourdin a entamé la construction de la cité, sans permis de construire à l'époque. L'ancien maire, aujourd'hui décédé, est en cause, selon eux: «Il voulait se faire élire, alors il a régularisé toutes leurs constructions illégales en échange de votes. Si la statue de Bourdin a pu être détruite c'est que celle-ci n'avait pas de permis de construire». Le 1er octobre 2020, la cour de Cassation a condamné l'association du «Vajra triomphant» à remettre en état le flanc de la colline où ils avaient entamé la construction d'un temple pyramide de 3000 m2 au sol. La justice avait annulé le permis de ce monument en 1994, stoppant net les travaux mais laissant la nature dégradée. Un collectif de riverains et d'écologistes avait alors mené un combat judiciaire pour contraindre le groupe à réhabiliter la colline.
Une «attraction» bonne «pour l'économie locale»
À la fin de la visite, ce procès est évoqué par le couple de curieux venu sur place des années après avoir entendu parler de cette communauté. Le Mandarom assure que toutes les constructions sont légales et croit en «la volonté divine» qui leur permettra d'enfin construire leur temple. Concernant la réhabilitation de la colline, Christine Amory-Mazaudier, assure simplement que «tout se règle actuellement», sans donner plus de précisions. Le couple se risque alors à évoquer les autres affaires qui embarrassent le mouvement: les accusations de viols portés à l'encontre de Gilbert Bourdin en 1995 et 1996 par deux anciennes adeptes, mineures au moment des faits. Le «messie cosmoplanétaire» est mis en examen et incarcéré en juin 1995 mais il meurt des suites d'un diabète avant son procès, le 19 mars 1998. Le prêtre-guide se montre agacé à l'évocation de ces ennuis judiciaires. «Vous avez l'impression qu'on est à sauter sur tout ce qui bouge?». La présidente du «Vajra triomphant» renchérit: «Notre maître a été innocenté par un tribunal de Versailles quand la question de la compensation des deux femmes qui l'accusaient a été évoquée. Le tribunal a affirmé qu'il était mort innocent car non condamné».
Christine Amory-Mazaudier met d'ailleurs la perte d'adhérents sur le compte de ces «attaques». D'après elle, le Mandarom comptait 1200 membres au plus fort de son attractivité contre 400 aujourd'hui. «Il y avait une multitude d'articles écrits contre nous, qui nous attaquaient sans cesse. Certains ont perdu leur métier, ont divorcé. Donc des gens se sont retirés. Ceux qui ont tenu, ils sont forts». Françoise* avance, elle, une autre explication. Cette ancienne adepte a quitté l'association depuis plusieurs années, après la mort du «maître». «J'ai quitté ma famille, mes amis, mon ancien travail et ma maison pour venir ici, témoigne-t-elle. Au début, je venais occasionnellement, pendant les fêtes, par exemple. C'est le maître lui-même qui s'est occupé de mon initiation. Mais à sa mort, tout a changé. Certaines personnes ont pris le pouvoir et vous vous deviez de leur obéir. J'ai trouvé cela malsain». Françoise décide alors de s'en aller mais reste dans la région. Elle affirme avoir subi «du chantage et une forme de harcèlement». «Les personnes qui ont pris le pouvoir ne laissent pas de place aux autres, normalement dans ces associations les responsables doivent changer, doivent tourner. C'est ça un ashram. Mais ils ont tout cloisonné. Ils ont fermé les grilles. Pleins de gens comme moi sont partis.»
Hans, un voisin, confirme qu'il y a eu, après la mort de Bourdin, une «renaissance du hameau»: «Les membres de la secte sont partis et ils ont vendu leurs terrains à des jeunes». Le riverain affirme n'avoir «aucun souci avec eux», et ne les voir en réalité que très rarement. Quelques kilomètres plus bas, à Castellane, le discours est similaire. À l'évocation du «Mandarom», une commerçante hausse les épaules: «Je n'ai jamais suivi ces histoires-là. Je ne sais pas s'il y a encore grand monde». D'ailleurs, «même avant» - sous-entendu à l'époque où le gourou était encore en vie - elle ne s'en souciait guère. «Et puis, s'ils descendent, on ne les connaît pas, on ne sait pas qui ils sont. Ce sont des gens comme vous et moi!», certifie-t-elle.
Ce qui n'était pas le cas autrefois quand, par dizaines, les adeptes du Mandarom «descendaient» de leurs collines jusqu'à Castellane et ses 1543 âmes, pour faire leurs courses, s'occuper de leurs «magasins bio» ou encore participer à la vie sociale locale. Impossible de les manquer à l'époque. Accoutrés de leurs tuniques et turbans, les disciples passaient difficilement inaperçus. «Ils ne nous ont jamais dérangés», soutiennent plusieurs habitants. «Au contraire, c'était plutôt bon pour l'économie puisqu'il fallait bien les nourrir, eux et les cars entiers de touristes qui venaient visiter la secte», lâche la gérante d'un magasin de vêtements. «Et puis maintenant, ils ne descendent même plus», note le marchand de glace du village.
Une secte «ringarde» ?
Assis en face de l'église, le visage baigné par le soleil brûlant de Castellane, un «ancien» ne partage pas le même avis. «Moi j'étais là quand ils sont arrivés, il faut quand même dire qu'ils nous ont bien emmerdés. Ils ont embrigadé des gens d'ici qui ont vendu leur maison et leur ont donné l'argent. Et quand on allait se balader à proximité du monastère, ils nous balançaient des flèches dessus. Mais il faut reconnaître qu'aujourd'hui, on ne les voit plus», relate-t-il au milieu du ronronnement des motos de touristes venus parcourir les gorges du Verdon sur leurs bécanes. «Ils se sont un peu ringardisés, avance Didier Pachoud. Ils sont restés sur une spiritualité très “années 70/80”. Alors que le discours actuel est plus centré sur les pseudosciences, les médecines alternatives.»
Mais le président du Gemppi se veut prudent. «Il reste quand même un petit groupe d'irréductibles. On garde la mouvance sous surveillance parce qu'elle possède toujours un potentiel de risque compte tenu de leur doctrine et de l'influence, encore aujourd'hui, du défunt gourou.» La Miviludes a indiqué au Figaro avoir reçu deux saisines depuis 2020: «Une demande de journaliste et un signalement d'une personne qui s'inquiétait pour ses proches, d'anciens adeptes. La Miviludes reste donc vigilante». Si Françoise a quitté le Mandarom en raison de ses différends avec les membres actuels, elle assure continuer de suivre les enseignements de «sa Sainteté le Seigneur Hamsah Manarah», qu'elle appelle toujours son «maître». «Cet idéal que le maître a mis en place, moi j'aimerais bien qu'il se répande sur la planète, mais avec des gens sages, pas assoiffés de pouvoir», poursuit celle qui se dit «médium et coupeuse de feu».
Didier Pachoud considère, en outre, que la discrétion du mouvement actuel - une «stratégie voulue» - «n'est pas forcément rassurante». Christine Amory-Mazaudier n'a pas caché des années durant son désamour des médias et sa volonté de ne plus communiquer sur l'association. «Elle a un haut niveau d'instruction, elle est plus intelligente et négocie mieux l'image du groupe avec le monde que Bourdin, en misant sur la discrétion», s'inquiète le président du Gemppi, qui ne voit pas d'un bon œil les visites guidées organisées par le collectif. Une «forme de prosélytisme», selon lui, qui permet «de se faire connaître auprès des nouveaux venus» : «En plus, avec le temps, les gens ont oublié les affaires sur le gourou. Les visites, les stages, ça plaît à ceux qui ont un penchant New Age. Peut-être que le Mandarom va mourir de sa belle mort, peut-être qu'il va reprendre des forces. Le potentiel sectaire est là, en tout cas. Le plus inquiétant serait qu'ils séduisent des jeunes».
Christine Amory-Mazaudier soutient, elle, que son mouvement est plus attractif qu'il n'y paraît. Elle mentionne notamment les séminaires, les cultes publics où membres et curieux peuvent se retrouver pour méditer. «Je reviens d'Afrique et il y avait des méditations avec 200/300 personnes», maintient-elle, se disant «adulée» dans le monde. Plus préoccupant, la présidente du Mandarom glisse au détour de l'entretien avoir de «nouveaux membres», «des jeunes qui deviennent prêtres». Sans compter les 1300 curieux, touristes ou sympathisants qui participent aux visites guidées, selon elle. D'ailleurs, à la fin de notre tour de la cité sainte, une question nous est subtilement posée : «On vous a déjà parlé des journées rencontre?»
Castellane et le Mandarom
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