Au procès de l’accident de car de Millas, la conductrice s’arc-boute sur sa version
En dépit des expertises, Nadine Oliveira a maintenu, avant de s’effondrer en larmes, puis d’être hospitalisée, que la barrière du passage à niveau était ouverte. Six enfants sont morts en 2017 dans cette collision avec un TER.
Article réservé aux abonnés
Nadine Oliveira a craqué. Lors d’un interrogatoire qui devait clore la première semaine de son procès à Marseille, la conductrice du car scolaire jugée pour avoir forcé la barrière du passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales), causant involontairement la mort de six enfants et des blessures à 17 autres collégiens, en 2017, s’est effondrée en pleurs, jeudi 22 septembre, alors qu’elle évoquait les sièges arrachés par le TER qui a traversé son car. L’audience est alors suspendue et les marins-pompiers sont appelés pour la prendre en charge. De la salle d’audience, on perçoit des pleurs inextinguibles. La scène est inédite. Une jeune fille blessée dans la collision souhaite aller lui parler. La présidente du tribunal la conduit vers la pièce où se retire la prévenue lors des suspensions d’audience.
Nadine Oliveira, qui a dû être ensuite hospitalisée pour subir des examens cardiaques, a craqué sous les questions des avocats des parties civiles. Ils ne comprennent pas comment elle peut concilier le « trou noir » dans lequel elle assure avoir été plongée juste avant l’accident et son souvenir « catégorique » d’avoir vu la barrière du passage à niveau levée. Niant toute erreur, elle s’arc-boute sur cette certitude que quatre jours d’audience ont ébranlée. « Si je dis que les barrières étaient ouvertes, elles étaient ouvertes », lâche-t-elle, sans laisser place aux doutes qu’elle avait pourtant exprimés quelques jours après le drame, en garde à vue.
Mme Oliveira repousse toutes les perches. Celle tendue par le procureur Michel Sastre, qui souligne le fait qu’elle franchissait ce passage à niveau huit fois par semaine depuis trois mois sans avoir jamais vu un train. « Il n’y a pas de routine, la barrière était ouverte, je suis catégorique. » Celle de la présidente, Céline Ballérini, qui évoque l’hypothèse d’un « micro-endormissement ». « Non, j’étais en forme, pas fatiguée. » En dépit de sa voix fluette, Nadine Oliveira apparaît inébranlable.
« J’ai mes souvenirs, eux ont les leurs »
Aux témoins lui opposant pourtant leurs souvenirs d’une barrière fermée, elle tranche : « J’ai mes souvenirs, eux ont les leurs. » A l’image de la conductrice du train, et de son moniteur. « A la sortie d’une courbe, explique la jeune femme qui était aux commandes du TER, je vois les barrières fermées, le car arrive une fraction de seconde après, je le vois plier la barrière, il passe très lentement. » La conductrice enfonce le bouton de freinage d’urgence et écrase le sifflet du train, qu’elle ne lâchera plus jusqu’à son arrêt, 200 mètres après l’impact. Le choc était inévitable, déplore son moniteur, qui avoue au tribunal sa difficulté à reprendre la conduite de trains.
Quatre experts, spécialistes en systèmes ferroviaires et en accidentologie, ont reconstitué les
trajectoires, en se calant sur les vitesses relevées par le chronotachygraphe du car et la bande
graphique – corrigée – du TER. Sur les écrans de la salle d’audience et dans celle de Perpignan, où sont retransmis les débats, défilent des vidéos reconstituant ce timing diabolique qui conduit à la collision.
Un expert dit ne pas comprendre pourquoi Mme Oliveira a freiné en abordant le passage à niveau, pourquoi, une fois sur la voie, elle n’a pas écrasé l’accélérateur, alors qu’elle disposait de trois petites secondes pour dégager le car du passage à niveau. Et encore, soupire l’expert, c’est l’arrière du bus qu’aurait heurté le train. « Vous avez entendu, tente la présidente. Pourquoi vous n’avez pas accéléré ? » « La barrière était levée », affirme mordicus la prévenue.
Les experts ont tout passé au crible, envisagé 29 dysfonctionnements possibles du système d’abaissement des barrières, examiné les 1 722 incidents-accidents de passage à niveau enregistrés entre le 3 juillet 2006 et 3 avril 2018. Leurs conclusions sont sans appel : « Il est totalement exclu que la barrière ait été ouverte quand le car s’est engagé. »
Un stop grillé à la sortie du collège, des lignes blanches médianes mordues dans les virages, une vitesse soutenue, selon le pilote de rallye au volant du car ayant servi à la reconstitution du trajet entre le collège de Millas et le passage à niveau : les simulations sont venues ébrécher l’image de conductrice « prudente et consciencieuse » revendiquée par Nadine Oliveira.
« En deux minutes, j’ai perdu mon enfance »
Mensonges pour les unes, déni pour d’autres, les parties civiles s’impatientent et craquent, elles aussi. « Votre position, qui donne l’impression que vous n’assumez pas, est vécue comme une marque d’irrespect par des parents qui voudraient savoir si vous avez menti pour faire bonne figure », lance Me Gérard Chemla à la prévenue.
Cinq enfants blessés dans l’accident ont témoigné devant le tribunal, parlant de leurs amis morts, de leur enfance abîmée. Parmi eux, le récit d’une jeune fille dont la robe laisse apparaître la prothèse venue équiper sa jambe amputée a pris un relief particulier. Assise derrière la conductrice, elle avait une vue sur le poste de pilotage du car. Venant d’une route parallèle à la voie ferrée, le bus a tourné à gauche pour déboucher aussitôt sur le passage à niveau. La jeune fille évoque la conductrice regardant la route à gauche et à droite, mais dont l’attention est captée par un SMS qui s’affiche sur son portable qu’elle ne va pas prendre.
« Moi, j’ai vu les signaux lumineux, les barrières s’abaisser », dit la jeune fille. Elle en veut à Nadine Oliveira et lui en voudra toute sa vie : « Parce que c’est sa faute. J’avais 13 ans et je suis devenue adulte en deux minutes. En deux minutes, j’ai perdu mon enfance, mon adolescence, mes amis. » Le procès doit reprendre lundi, mais on ignore si l’état de Nadia Oliveira lui permettra d’y assister. « Lui poser toujours les mêmes questions qui lui font revivre un instant traumatique majeur, c’est aussi une violence. C’est un accident de la circulation pas un assassinat », a déclaré à l’AFP l’avocat de Mme Oliveira, Jean Codognès.
L’audience a repris sans la prévenue, Nadine Oliveira, hospitalisée. En tentant de comprendre sa personnalité et pourquoi elle continue de soutenir que les barrières du passage à niveau étaient ouvertes, contre l’avis de témoins et d’experts.
Article réservé aux abonnés
L’absence de Nadine Oliveira à son procès s’installe comme une évidence. La conductrice du car scolaire dans lequel six enfants ont péri et dix-sept autres ont été blessés lors d’une collision avec un TER au passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales) a été hospitalisée, jeudi 22 septembre, après s’être effondrée à la barre à l’évocation de l’accident. Son procès ne s’est pas arrêté, car elle a signé un pouvoir donnant mandat à ses avocats de la représenter, ce que la loi autorise à un prévenu libre jugé en correctionnelle. « Nadine Oliveira considère que l’audience peut se poursuivre sans elle », a donc pris acte la présidente du tribunal, Céline Ballérini.
Tout le monde semble s’accommoder de cette absence. A l’exception d’un avocat de parties civiles qui, mardi 27 septembre, a déploré qu’aucun élément n’ait été remis sur son état de santé. « On fait comme si de rien n’était, on est dans une espèce de flottement, déplore Me Julien Audier-Soria. On poursuit sans aucune certitude sur son état de santé. » Le tribunal ne dispose que d’un bulletin d’hospitalisation datant de son entrée aux urgences de l’hôpital Nord de Marseille et de ce que rapportent ses avocats, mais rien d’autre, pas de certificats médicaux.
Les enfants blessés, leurs parents et ceux des enfants tués dans l’accident composent avec ce banc vide, partagés entre ceux qui ne supporteraient pas le renvoi du procès et de devoir tout recommencer dans plusieurs mois et ceux qui attendaient depuis des années d’exprimer leur colère en présence de celle qui est jugée pour avoir involontairement conduit leurs enfants à la mort.
« Education sans chichis »
C’est donc sans elle qu’une journée durant le tribunal a parlé d’elle. Une « éducation d’autrefois, sans chichis », résume une enquêtrice de personnalité, une femme qui subit les violences d’un premier concubin, affronte les difficultés de la vie comme élever seule sa fille après que le père l’a quittée à l’annonce de sa grossesse, ou s’occuper jusqu’au bout d’un père frappé par le cancer. Une vie de travail en patchwork : aide-comptable dans une compagnie maritime marseillaise, femme de ménage, assistante maternelle, agente à l’hôpital de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), jusqu’à son permis de conduire les bus, en 2016, la découverte d’une vocation pour cette passionnée de gros camions et de « trucks » américains et qui préfère les milieux professionnels masculins.
Sa vie a basculé avec l’accident du 14 décembre 2017. Le tribunal réemprunte toutes les pistes du dossier, déjà refermées durant l’instruction. Un esprit qui vagabonde alors qu’elle a rendez-vous le soir même avec un collègue avec lequel elle a échangé des SMS coquins dans l’après-midi ? « Je n’étais pas du tout troublée », avait-elle rétorqué au juge d’instruction. Une barrière fermée forcée dans une forme de suicide ? Pas d’état suicidaire, tranchent les experts psychiatres.
Ces derniers excluent des éléments dépressifs, un terrain psychiatrique ayant amené à l’accident. Clé de cette affaire depuis le premier jour, son entêtement à maintenir que les barrières du passage à niveau étaient ouvertes, contre l’avis sans appel des experts et des témoins affirmatifs, relèverait d’une forme de déni, estime la docteure Françoise Grau-Espel, experte psychiatre. Elle définit ce déni comme « un mécanisme de défense inconscient qui constitue une protection devant une réalité si angoissante qu’elle pourrait provoquer un effondrement ».
« Les barrières ouvertes, c’est son cerveau qui lui dit ? C’est sa manière de survivre ? », reformule le procureur Michel Sastre, qui prend acte qu’il n’y aurait chez la prévenue « aucune stratégie ». « Non, ce n’est pas de la manipulation pour éviter une accusation, elle n’a pas les traits pervers », estime la psychiatre, qui évoque un cerveau « en mode protection ». « Elle ne se projette pas comme responsable de l’accident, mais s’identifie aux victimes sans hiérarchisation avec les enfants, elle est une victime parmi d’autres », ajoute-t-elle. Dans la salle, c’est dur à entendre.