https://www.cairn.info/revue-pratique-en-sante-mentale-2017-4-page-1.htm
- Éditorial
Dans la charte adoptée à Rennes en septembre 2016, Santé Mentale France affirme sa « détermination à agir pour combattre toutes les formes de stigmatisations dont font l’objet les personnes avec la formation aux premiers gestes d’urgence. La Fondation de France a d’ores et déjà apporté un financement d’amorçage pour cette opération et l’agence nationale Santé Publique France a été sollicitée pour apporter son soutien. Une demande d’inscription au budget 2018 de cet organisme a été faite.
2 Ce programme s’adresse au grand public et vise à faire progresser sa connaissance des troubles psychiques, de façon à ce qu’il puisse mieux percevoir l’expression de ces troubles, adopter une attitude adaptée et bienveillante et apporter un conseil pour orienter les personnes qui en ont besoin vers le diagnostic et les soins.
3 La première étape consistera à adapter au contexte français le manuel international MHFA et à former les premiers formateurs. Puis les premières formations du public pourront être engagées, peut-être en ciblant d’abord des personnes plus fréquemment en contact avec les personnes concernées : enseignants, policiers, gardiens d’immeubles, personnels d’accueil des services publics, professionnels des services de ressources humaines…
4 Nous espérons que, au-delà des adhérents de Santé Mentale France et des enseignants de l’INFIPP, cette démarche se développera en cascade et mobilisera de nombreux acteurs au-delà même des acteurs directs de la santé mentale pour faire progresser la connaissance des troubles psychiques dans la population, pour faciliter l’accès au diagnostic et aux soins adaptés et faire ainsi reculer la souffrance des personnes atteintes de ces troubles et celle de leurs proches vivant avec des troubles psychiques et/ou en situation de handicap psychique » (voir la charte sur le site www.santementalefrance.fr).
5 Par ses effets sur les personnes concernées et leur environnement, cette stigmatisation est un frein puissant à l’accès rapide aux soins psychiatriques et aux accompagnements ; elle rend plus difficile l’accès aux droits sociaux entendus au sens large, du logement aux prestations sociales ; elle rend plus difficile l’accès à l’emploi ; souvent, elle entraîne un repli et un isolement social des personnes et leurs familles. Voilà les raisons pour lesquelles Santé Mentale France s’engage activement dans la lutte contre la stigmatisation.
6 Quelles sont les raisons de cette stigmatisation et comment faire pour agir contre elle ? Cet éditorial ne suffirait pas à les énumérer. Il ne s’agit pas d’un phénomène spécifiquement français, loin de là. Un des facteurs majeurs conduisant à ces attitudes de rejet ou de méfiance est l’ignorance, qui est source de représentations erronées et de fantasmes négatifs sur les troubles psychiatriques, leurs origines, leurs manifestations, leurs conséquences. A titre d’exemple, souvent, les personnes qui entourent l’adolescent ou le jeune adulte – enseignants, amis, famille, collègues – méconnaissent et n’identifient pas les premières manifestations des troubles psychotiques. En conséquence, elles n’ont pas toujours l’écoute ni la capacité de donner les conseils adaptés pour un accès au diagnostic et aux soins ; on sait pourtant que la précocité et l’organisation adaptée de ces soins permettent d’espérer une réduction très sensible à la fois de la gravité des manifestations ultérieures de la pathologie et du basculement des situations durables de handicap.
7 Hélas, pour l’heure, cette lutte contre la stigmatisation n’a pas entraîné d’autre mesure qu’un soutien timide à la Semaine d’information en santé mentale, utile et à laquelle SMF prend toute sa part mais bien insuffisante à elle seule !
8 D’autres pays ont pourtant développé et mis en œuvre un programme de formation grand public, né en Australie dans les années 1990, appelé Mental Health First Aid (MHFA) [1][1]http://www.mhfainternational.org/ pour l’association…. Les Australiens ont formé 500 000 personnes [2][2]La population de l’Australie est estimée 24,64 millions… depuis la mise en place de ce programme qui a essaimé progressivement dans 20 autres pays. L’impact de ce programme a déjà fait l’objet de plusieurs études scientifiques qui ont conclu à son intérêt et ont validé sa pertinence.
9 L’INFIPP [3][3]Organisme de formation spécialisé en psychiatrie et en santé… et Santé Mentale France ont décidé de transposer à la France le programme international MHFA en le traduisant en « Premiers secours en santé mentale », par analogie.
https://www.cairn.info/revue-pratique-en-sante-mentale-2017-4-page-5.htm
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2018
Les représentations du handicap ont beaucoup évolué ces dernières années, avec la prise de parole des personnes concernées qui ont récusé le modèle médical du handicap et affirmé leur pouvoir d’agir sur leur propre vie. Si cet « empowerment » est aujourd’hui reconnu par les professionnels, lorsqu’il est question de l’accès au logement, de l’insertion professionnelle ou d’autres aspects de la vie comme les loisirs, la vie sociale, les droits sociaux, on est frappé du silence qui persiste sur ce « pouvoir d’agir » sur leur vie affective et sexuelle qui constitue pourtant un des points d’appui fondamentaux d’accès à une pleine humanité.
2 S’interroger sur ce constat nous place immédiatement en face de la question suivante : La vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap doit-elle être entendue essentiellement comme un problème qui continue d’induire un malaise chez les professionnels et de mettre en question leurs repères éthiques et réglementaires ?
3 Nous tenterons dans ce numéro un bref survol de quelques questions ayant trait à cette thématique, en considérant les situations de handicap, quelque soit leur origine, de façon assez générale :
4 La question du libre-arbitre, de la liberté de choix des personnes sera, naturellement au cœur des interrogations. A partir de quel moment les professionnels que nous sommes peuvent-ils être amenés à penser que la vie affective et/ou la sexualité des personnes que nous accompagnons nous concerne, soit pour la limiter, soit pour l’encourager et l’accompagner. Y aurait-il quelque généralité en la matière alors que nous touchons là au plus intime de l’identité de chacun ?
5 Par ailleurs la question du lien entre affectivité et sexualité méritera également d’être posée, question qui renvoie naturellement à nos propres représentations sociales. Les deux domaines peuvent-ils être traités de façon disjointe ?
6 Mais s’intéresser à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap soulève aussi d’autres questionnements éthiques concernant le désir de parentalité, les grossesses désirées ou non, mais aussi les risques de MST.
7 Pendant très longtemps les institutions recevant des personnes en situation de handicap, ont, soit fermé les yeux sur des réalités qu’il valait mieux ignorer, soit fait stériliser leurs pensionnaires. Elles ont également pu édicter des règles strictes interdisant toute sexualité entre les murs de l’institution, ne se posant alors pas du tout la question de l’affectivité. Plus tard, elles ont pu mettre toutes les femmes sans leur demander leur avis, sous traitement anticonceptionnel ou bien laisser des préservatifs à disposition de chacun. Chacun aménageant la gestion de l’établissement et ses règles de vie à sa façon. Il semble que notre époque commence à sortir de cette ambivalence et de ces ambiguïtés et à s’interroger réellement. C’est un bon signe mais beaucoup de progrès restent encore indispensables. Les quelques pages de ce dossier se veulent une modeste contribution à cette réflexion.
1La prise en compte de la vie affective et sexuelle ainsi que du désir de parentalité des personnes en situation de handicap psychique émerge actuellement. En effet ces sujets était tabous et rarement abordés, étant exclu des préoccupations des accompagnants, alors même qu’ils traversent nos propres vies de façon essentielle.
2 Malgré le poids de la morale et de nos préjugés, nous assistons depuis plusieurs années à l’évolution des mentalités aussi bien envers le handicap qu’à l’égard de la sexualité.
3 Les différentes lois dans le milieu médico-social de 2002 – 2005 et 2007 ont encouragé une véritable reconnaissance des droits, en ce qui concerne l’affectivité, l’intimité, la sexualité et la parentalité, des personnes en situation de handicap psychique.
4 Une approche plus positive de la sexualité émerge au fil du temps, auparavant, l’on abordait la sexualité essentiellement sous l’angle du danger et du risque en parlant uniquement de contraception, de prévention et de la menace du Sida, aujourd’hui nous en parlons comme une dimension du bien être des personnes et de l’affirmation de leur identité, comme une dimension nécessaire pour une reconnaissance de la personne dans la totalité de son être.
5 Cependant, lorsque nous parlons de sexualité, de quoi parlons-nous exactement ?
6 Le terme sexualité englobe les phénomènes de la reproduction biologique des organismes, les comportements sexuels permettant cette reproduction et enfin les nombreux phénomènes culturels liés à ces comportements sexuels.
7 Sur un plan étymologique, la sexualité est ce qui sépare l’espèce en deux catégories d’individus, les mâles et les femelles. Sur un plan relationnel et affectif, la sexualité est ce qui rapproche les individus et qui les unit. Nous avons là un premier paradoxe, témoin de toute la complexité de la sexualité, puisque la sexualité est à la fois ce qui nous sépare et ce qui nous unit.
8 Sur le plan psychologique, notre sexe est ce qui nous définit en tant qu’homme ou femme, il participe à la construction de notre identité sexuée, à nos choix d’objets sexuels et nos modalités relationnelles. En effet, l’identité sexuée consiste à savoir si l’on est garçon ou fille, à s’approprier les attributs du masculin ou du féminin, à s’identifier aux images propres à chaque sexe et à moduler nos attitudes et nos comportements en fonction de cette identification.
9 La sexualité prise dans sa totalité et non réduite au simple rapport sexuel, est une composante essentiel de notre personnalité, elle est ancrée dans le biologique, le psychologique et le social, elle est la forme de plaisir à échanger avec un autre, elle convoque des sensations corporelles, des sentiments, des émotions, des désirs. Cela ne se réduit pas au simple besoin de satisfactions des pulsions mais à un désir profond de relation et d’amour.
10 Il est nécessaire de rappeler que pour tout être humain, la sexualité est présente à chaque âge de la vie. Enfants, adolescents, adultes et personnes âgées, nous sommes tous des êtres sexués.
11 L’apprentissage de la sexualité est avant tout un apprentissage sensoriel et corporel qui débute à la naissance et participe de tous les organes des sens, des habitudes familiales et de la sensibilité maternelle. La formation du schéma corporel et de la sensibilité tactile se réalisent au fil des jours à travers le toucher du corps nouveau-né par la mère lors des soins, de la toilette et du portage : c’est la naissance sensorielle du corps.
12 Dès la naissance, les mains de la mère parcourent le corps du bébé et lui procurent ses premières sensations. Chaque cellule du cerveau sensoriel reçoit un message : le bras commence ici et s’arrête là, ici c’est le ventre, ça la jambe…etc., le corps s’éveille à la vie. Cet épanouissement sensoriel et corporel est un préalable au vécu de la sexualité.
13 Ainsi, tous présentent des intérêts sensoriels, de la naissance jusqu’à la mort, et les expriment par une conduite : cette conduite n’a pas la même réponse et ne se dote pas de la même sensualité (initiatives pour explorer des expériences plaisantes) selon le corps et la maturité psychologique, physiologique et sexuelle.
14 La sensualité d’un enfant en raison de son corps enfantin se manifeste par des conduites prégénitales (l’organe est source de plaisir mais ce dernier n’est pas mature en raison d’un corps immature) mais le plaisir ressenti au moment des expériences sensorimotrices du jeune enfant gagnera avec le temps en maturité grâce aux transformations du corps au moment de la puberté et grâce aux différentes expériences. Avec la puberté, c’est le passage de fille et de garçon à celui de femme et d’homme, c’est-à-dire le passage de l’enfant à l’adulte qui accède à la sexualité génitalisée, capable de réaliser une relation sexuelle aboutie en couple et éventuellement de procréer.
15 La sexualité humaine varie en fonction des époques et des cultures. Des différences sont observées dans la diversité des pratiques érotiques, mais surtout dans la très grande diversité des mœurs, des croyances, des valeurs, et des représentations sexuelles. Ces observations ethnologiques montrent l'importance majeure de la culture dans le développement sexuel et dans l'expression de la sexualité humaine.
16 Bien qu’il existe des déterminismes génétiques et biologiques des comportements humains, l’apprentissage social et culturel, permet leur réalisation de façon appropriée. Tous les apprentissages se font par éducation, selon le principe de l’imitation. On apprend à parler, à manger, à vivre ensemble en imitant. Trop souvent, l’on imagine qu’il ne sert à rien de parler de sexualité avec les enfants, au-delà de quelques données de base sur la procréation et des quelques conseils habituels de prévention, car nous pensons que la sexualité est naturelle.
17 Cependant, si avoir une érection ou ressentir une excitation est un réflexe naturel, savoir qu’en faire ne l’est pas, d’où l’importance d’une éducation qui permette d'apprendre à se conduire avec les autres sur le chemin de la sexualité, c'est à dire apprendre à connaître et à écouter son corps et le corps de l’autre, apprendre à respecter ses désirs et ceux de l’autre, apprendre aussi à échanger avec l'autre sur son ressenti et ses attentes.
18 Cet apprentissage devrait permettre d’intégrer le fait que "mon corps n'appartient qu'à moi et que personne ne peut m'obliger à faire quoi que ce soit dont je n'ai pas envie, ni m'interdire ce qui me plaît, tant que je respecte la loi et que je ne nuis pas à autrui».
Handicap et sexualité
19 Nous avons abordé la sexualité de manière générale mais qu’en est-il pour le sujet ayant des troubles psychiques. Comment vont s’intriquer sexe et handicap dans la construction identitaire de la personne ainsi que dans ses modalités relationnelles ?
20 Avant d’aborder cette question complexe, il est nécessaire de mettre en avant les tabous et les préjugés qui persistent dans notre société et que nous risquons de partager à notre insu. Généralement, ces personnes sont d’abord perçues comme handicapées avant d’être perçues comme homme ou femme susceptible de séduire ou d’être séduit(e).
21 La plupart du temps, il y a une injonction paradoxale que subit le sujet, qui est considéré comme ni complètement différent, ni complètement semblable et à qui on demande d’être un adulte tout en restant un enfant, d’être autonome alors qu’il est dépendant, et d’être un homme ou une femme mais sans affirmer de désirs liés à la féminité ou à la masculinité. Ainsi, on ne parle que très rarement de sexualité et d’amour avec ces sujets qui sont perçus comme des grands enfants immatures qui n’en sont pas encore là. Leur corps est restreint à des dimensions fonctionnelles, amputés de son érogénéité et de son expressivité émotionnelle.
22 La sexualité des personnes ayant des troubles de la personnalité est le plus souvent perçue comme potentiellement débridée et réalisée de façon irresponsable. Les figures animales étant régulièrement convoquées dans ses représentations, réduisant la sexualité à la dimension du besoin sexuel, ayant une fonction de décharge pulsionnelle. Si dans le principe, ces personnes sont des sujets de désir et de pulsions comme les autres, nous savons aussi que, dans la réalité, certains troubles affectent les processus de construction psychique du rapport à soi et à l’Autre tant sur le plan affectif que cognitif.
23 Ces personnes peuvent présenter des déficiences cognitives ou des incapacités fonctionnelles qui affectent le champ des échanges sensoriels, la perception, la mobilité et la motricité, les capacités de compréhension et d’adaptation à l’environnement. Ces troubles ou déficiences sont sources de blessures narcissiques, de confusion entre sexe et tendresse, et entraîne une dépendance à autrui plus ou moins grande, y compris dans le domaine sexuel.
24 Ainsi, le type de sexualité et le sens de la sexualité (autoérotique, homo ou hétérosexuelle) dépend du degré d’autonomie, non seulement en termes de capacité motrice ou sensorielle mais aussi en termes de niveau de socialisation, de maturité affective et de compétences sociocognitives et relationnelles.
La sexualité dans les fonctionnements psychotiques
25 La psychose est une structure psychique se caractérisant essentiellement par un trouble de l’identité, un trouble dans le rapport à l’autre et à la réalité.
26 Le sujet psychotique entretient avec le réel des rapports relevant de l’ambivalence primaire, c'est-à-dire basés sur le principe de plaisir. Ainsi la prévalence des processus primaires et la toute puissance de la pensée amènent à une toute puissance des désirs et des pulsions car elles ne sont pas censurées par le réel. Les pulsions cherchent à se décharger, à se satisfaire de la façon la plus immédiate, sans tenir compte de la réalité relationnelle. C’est pourquoi l’on assiste à l’expression des pulsions « crues », non filtrées, non censurées, non intégrées à la vie affective.
27 Le Dr Philippe GABBAI précise que « dans les fonctionnements psychotiques, la vie pulsionnelle peut être une source de danger contre laquelle le sujet tente de se protéger par divers mécanismes défensifs (déni, clivage, projection). La difficulté pour ces patients tient au fait que cette vie psychique, se déroule dans une enveloppe corporelle dont l’intégrité, l’unité est sans cesse menacée (angoisse de morcellement). Michel Lemay utilise la métaphore d’une carafe de verre fissuré (représentant l’enveloppe corporelle) qui contient un liquide (la vie psychique), le risque étant la rupture de la carafe (et la dislocation corporelle et psychique qui va avec) lors d’un choc externe (provenant de l’environnement) ou d’une ébullition interne (émotions, pulsions) ».
28 Le Dr GABBAI précise que « ce point est essentiel pour saisir la problématique de la sexualité dans les fonctionnements psychotiques où domine l’angoisse de morcellement. Les patients en question sont comme tout un chacun fascinés, excitables au plan pulsionnel mais c’est à chaque fois au risque d’un morcellement possible, d’une angoisse de mort. Ainsi la plupart des patients psychotiques peuvent-ils agir, sans trop de risque, un auto-érotisme, encore que nombre de schizophrènes verbalisent très bien les angoisses que génèrent chez eux ces pratiques, qu’ils sont souvent contraints d’enfermer dans des rituels, des rationalisations, des fictions délirantes pour en atténuer les risques ».
29 Lorsqu’il y a relation avec un partenaire (qu’il soit ou non du même sexe), la fragilité psychique et symbolique du corps ainsi que la menace de l’intrusion par l’autre, limitent l’accomplissement d’une réelle sexualité, celle-ci ne se réalisera que d’une manière « externe », c’est à dire limitées à des attouchements, des caresses ou « des câlins ».
30 Paradoxalement, on peut observer chez les femmes, un comportement inverse, où la recherche de relations sexuelles avec des partenaires multiples est particulièrement active. Il s’agit, selon le Dr GABBAI « d’une conduite qui tente, par la répétition, d’atténuer l’angoisse précisément liée à ces relations ».
31 Cependant, il y a des exceptions, certaines personnes psychotiques évoluent vers des fonctionnements symbiotiques, le caractère menaçant de l’autre est donc atténué, on retrouve ce cas chez des personnes dites stabilisés, capables d’une relative autonomie sociale et qui peuvent avoir accès à une vie de couple dans des conditions cependant protégées.
Le chaos de la sexualité dans les fonctionnements anaclitiques
32 D’après le Dr GABBAI, « ce qui est en jeu ici est une faille dans la construction du narcissisme (lié à des défauts d’attachements sécures dans l’enfance, on parlait autrefois de carences précoces typique des personnes abandonniques ou dans les états limites), entraînant une absence de l’estime de soi (Jean Bergeret parle de Moi nul) souvent masquée derrière un moi « grandiose » totalement irréaliste ». Ce qui est caractéristique dans ce fonctionnement, c’est un besoin permanent d’étayage et de soutien, besoin d’autant plus pressant qu’il est impossible à satisfaire.
33 « La conséquence est que ces sujets érigent l’autre (l’objet) dans un statut idéalisé (un objet parental primitif tout puissant) comme capable de combler la faille, comme capable de l’étayer sans fin et sans relâche. Dès lors il adressera une demande avide, toujours insatisfaite et lorsque l’inévitable déception surviendra, la frustration douloureuse de n’être point comblée entraînera l’attaque contre l’objet (l’autre) jugé décevant ».
34 Le Dr GABBAI précise ainsi que « les conduites sexuelles de ces personnes sont marquées par deux traits principaux : la recherche avide d’un partenaire qui comble la demande affective, recherche à chaque fois décevante car personne ne peut véritablement être en état de combler la béance interne, l’immense besoin d’estime, de reconnaissance, de respect, d’amour. La discontinuité relationnelle qui est centrale, puisque chaque fois que la relation s’établit, elle est vite insuffisante à combler la faille, d’où la rupture et la recherche d’un autre objet ».
35 « Cette logique entraîne une vie sexuelle chaotique chez la femme, au bord de la prostitution où se satisfait tout à la fois leur demande affective avide et la confirmation de leur Moi nul (d’être une prostituée) mais où aussi la brièveté des rencontres protège contre des attachements affectifs plus durables mais toujours déçus et donc douloureux. Chez les hommes se met en place une consommation sexuelle sans attachement, sans affect, où la partenaire est utilisée comme objet ».
36 En conclusion, nous percevons bien la nécessité de la prise en compte de la structure psychique du sujet dans ses relations affectives et sexuelles. Nous devons rester attentifs au regard moralisateur ou normatif sur les conduites mises en œuvre par les personnes ayant un handicap psychique, qui font comme elles peuvent et en conformité avec leur problématique cognitive et psycho-pathologique. Il est bon de rappeler qu’il n’y a pas de norme en matière de sexualité à partir du moment où les conduites ne portent pas atteinte à l’intégrité et à la dignité des personnes.
37 Les codes d’expressions de leurs désirs ne sont pas les mêmes que les nôtres et nous ne les comprenons pas ou nous les comprenons mal. Nous restons donc très crispés sur les comportements à adopter et nous tentons presque toujours de guider ces hommes et ces femmes vers un projet de normalisation à travers la sexualité plutôt que vers un projet d’épanouissement personnel et différent pour chacun et chacune.
38 Nul doute que la vie affective et sexuelle des personnes ayant un handicap psychique peut prendre des formes extrêmement diverses et que nous vivons à une époque où il s’agit moins de l’Amour avec un grand A que d’amours au pluriels. De la même manière qu’il n’y a pas de sexualité avec un grand S, mais qu’il n’existe qu’une multitude de sexualités personnelles, chacune devant être respectée dans son rythme et ses expressions.
39 Concernant le désir d’enfants chez des personnes ayant un trouble psychique, on peut dire que cela reste un vrai tabou !
40 Pourtant être parent et en situation de handicap n’est pas nouveau ; dans de nombreuses familles, cette situation est arrivée. Les enfants de ces personnes leur étaient le plus souvent retirés, élevés par des nourrices, confiés à l’assistance publique, ou encore à leurs grands-parents. Ce qui a changé, c’est que ces personnes se sont appropriés une légitimité pour exprimer leur désir d’être parents et dans un certains nombres de cas, le réaliser. Etre parent tout en ayant un handicap psychique n’est plus interdit, ce n’est plus une honte non plus. Pourtant, l’accompagnement dans l’élaboration du désir est encore peu pratiqué, le soutien positif de l’attente de l’enfant peu développé et le travail conjoint des multiples services autour des parents et de l’enfant semble presque impossible.
41 En premier lieu, nous avons à l’esprit que le désir d’enfant s’inscrit dans notre nature. L’homme et la femme sont faits pour avoir des enfants. Même s’il ne s’agit pas de leur fonction première, les humains n’échappent pas à la nécessité naturelle de se reproduire.
42 Le fait qu’un patient ou une patiente puisse un jour devenir père ou mère, est volontiers vécu par lui ou par elle comme une étape heureuse de sa vie, un témoignage de sa capacité à intégrer ou réintégrer la communauté des humains dont sa pathologie le tenait écarté. Ainsi le désir de parentalité peut participer à être comme tout le monde, avoir un enfant, créer une famille, c’est accéder à un statut social, c’est atteindre une place qui reste encore la base de notre société.
43 Grâce à l’enfant, la personne, devenue comme tout le monde, peut avoir l’impression qu’elle n’est pas si « malade », cela peut être aussi une revanche sur le handicap, un désir de réparation. Il sort quelque chose de positif d’une personne « abîmée ».
44 Même si le désir d’enfant est bien présent, il semble peu élaboré. On assiste le plus souvent à une parentalité qui arrive sans préparation, pas de projection dans le temps, pas de préparation à la naissance, déclaration très souvent tardive de la grossesse et encore quelques fois, déni de grossesse.
45 Il faut bien l’admettre nous sommes vite dépourvu face à ces situations, car :
- Nous ne pouvons nous empêcher de penser à l’enfant ce qui réactive nos préjugés,
- Il n’existe aucune référence en la matière
- On peut être pris par le désir de ne pas briser un projet et le principe de réalité…
47 Les réactions sont souvent stéréotypés ; tu es handicapé, tu as des difficultés à t’occuper de toi-même comment prendras-tu soin d’un enfant ? Ton enfant sera retiré, placé en famille d’accueil, on peut être heureux sans enfant, si tu es enceinte, on ne pourra pas te garder dans l’établissement…pourtant il peut y avoir d’autres réponses et d’autres postures face à cette demande.
48 En premier lieu, l’écoute ; la personne a aussi besoin d’exprimer ses rêves d’avenir. Formuler un rêve ne veut pas dire le mettre en œuvre. Il est essentiel que cela puisse être imaginé, penser, verbalisé. Il faut pouvoir envisager l’inenvisageable, soutenir la capacité de rêverie. L’envisager ne serait-ce que pour qu’il soit possible d’y renoncer. Renoncer au projet d’enfant, après l’avoir envisagé et sans qu’il ait été interdit de l’envisager, est un facteur de maturation. Tout le monde imagine quantité de choses qu’il n’obtiendra ou ne réalisera jamais.
49 On voit alors dans la clinique comment de jeunes adultes parviennent à des mouvements de désinvestissement et de réinvestissement. Par exemple, la figure du frère ou de la sœur prend beaucoup d’importance au moment où s’accentuent les questions du couple et de la parentalité. Un attachement affectif intense aux neveux et nièces, et un investissement de leur statut d’oncle ou de tante, peut alors faire office de réparation ou de substitut.
50 Toutefois, lorsque l’annonce de la grossesse est là, dans quel cas est-on en droit d’être optimiste, dans quel cas au contraire est-il prudent de ne pas l’être ?
51 Plusieurs éléments peuvent être favorables ; la présence d’un parent non pathologique et surtout sa capacité à limiter et contenir la psychose de son conjoint, la capacité d’identification de la mère à son enfant, la présence d’une image parentale auxiliaire et surtout la capacité des parents à accepter que ce « parent auxiliaire » soit investi par l’enfant ainsi que la présence et la qualité de la relation avec l’équipe soignante.
52 De plus une discussion permet de dégager les points forts de la personne ou du couple pour être parents. Le fait d’être conforté dans ses aptitudes va aussi mettre en lumière les manques et il sera possible de travailler sur le type de parentalité possible, ainsi que la mise en place d’un système compétent pour accompagner la situation, système composé des parents, de l’enfant, de la famille élargie et des équipes soignantes.
53 Il est bon de rappeler que le handicap n’est pas une indication médicale d’interruption de la grossesse et qu’il n’est jamais simple d’être parent, handicap ou pas, chacun se débrouille comme il peut, chacun est père ou mère à sa façon et de manière singulière.
54 Mais c’est quoi être Mère ou père ?
55 La parentalité est une construction sociale, multiforme en fonction des origines de chacun. La parentalité se transmet et s’organise en fonction de :
- la culture ; pour chacun, la question de la fonction parentale va s’inscrire dans sa propre histoire, son vécu, ses traditions, ses origines
- des pratiques ; pour chacun la prise en charge des enfants va s’organiser au regard des façons de faire, des rapports familiaux qui se tissent selon des codes qui appartiennent à ce groupe culturel.
57 Si nous voulons définir de manière générale la parentalité, nous pourrions proposer qu’il s’agisse de tout ce qui concerne la fonction de parent, d’un point de vue psychique, mais aussi légal et social.
58 Aujourd’hui, la moitié des enfants ne sont pas élevés par leurs deux parents. On cherche comment nommer ces personnes qui ne sont pas les parents mais qui vont s’occuper de l’enfant. Ainsi est né le terme de parentalité (beau, homo, adoptive, partagée…). En même temps on tente de définir qui à l’autorité parentale, le plus souvent conservée par le géniteur ou l’adoptant. Mais elle peut être déléguée ou partagée par la décision d’un juge, voire des parents eux-mêmes.
59 Il est ainsi possible pour des personnes en situation de handicap qui n’ont pas la capacité d’élever leurs enfants, même avec des aides ou des suppléances, de nommer des personnes dignes de confiance pour s’occuper durablement de l’enfant, tout en leur assurant la possibilité de conserver des liens, il s’agit de parentalité partielle ou bifocale.
60 Parallèlement, il existe actuellement une multitude d’établissements ou de services ayant pour missions la prise en charge et l’accompagnement de ces parents dans la construction du lien avec leur enfant, tel que les établissements d’accueil mère-enfant, les Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel pour parents/bébés, la Protection Maternelle et Infantile, les services de maternité de l’Hôpital…etc. Dans cette logique, certains départements ont créé des Services d’Accompagnement et de Soutien à la parentalité (SASP) destinés à des personnes ayant une reconnaissance de la Maison Départementale des Personnes Handicapées.
61 Il y a donc différentes façon d’être mère ou père : avec ou sans enfant, ou avec un enfant placé. Il faut opérer une séparation entre : être mère ou père et s’occuper de l’enfant. Il est nécessaire de bannir tout jugement et de ne pas attendre ce qu’on attend d’une mère : c’est-à-dire qu’elle soit maternelle. Etre mère ne veut pas forcément dire avoir un enfant pour soi. Etre une bonne ou une mauvaise mère, cela dépend des jours et reste vrai pour chacun. Quand les choses se nouent dès le début et que chacun peut prendre sa place, les choses peuvent se dérouler de manière satisfaisante. C’est pourquoi il faut soutenir les bricolages et la singularité de chacun.
62 Du côté de l’enfant, nous pouvons nous demander s’il est possible pour lui de multiplier les figures d’attachement ? Il s’agit bien là de la question centrale lorsqu’on parle de parentalité multiple. On l’a vue cette situation est déjà vécue par un grand nombre d’enfants ayant des parents séparés. Un enfant peut s’attacher à plusieurs personnes et en tirer profit. Ce mode d’attachement lui, est dommageable lorsqu’il n’est pas sécurisé ; en cas de conflit, d’absences injustifiées, de deuil soudain, de changements inexpliqués et fréquents.
63 L’insécurité provoque inévitablement des troubles chez l’enfant, la répétition de telles situations engendrera des troubles installés durablement. Mais un enfant peut tout à fait avoir deux mamans ; une de « ventre » qui ne peut l’lever, mais pense à lui avec amour et bienveillance et s’en occupe en fonction de ses possibilités, et une maman de « cœur » qui va prendre soin de lui au quotidien.
64 Il ne sera pas possible à l’enfant tout petit d’avoir plus de deux ou trois figures d’attachements : parents, parents de substitution. Mais au fur et à mesure qu’il grandit, l’enfant pourra élargir ses figures d’attachements. Il pourra également se créer un figure de remplacement en utilisant un proche « comme un père » par exemple.
65 Faisant suite à l’évolution de la société, de nouvelles parentalités sont apparues. Les normes ont éclaté. Les personnes en situation de handicap vont à leur tour bénéficier de ces changements. D’autres voies se font jour, probablement plus respectueuse des attentes de la personne en situation de handicap, permettant une meilleure évolution des enfants.
66 Loin d’empêcher la parentalité, elle la rendrait possible, soit grâce à un étayage précoce et correctement coordonné, soit par la possibilité d’une parentalité plurielle. Cette parentalité sur mesure, et non pas a minima, devrait permettre à la personne ayant un handicap d’être comblée par l’accomplissement de son désir de parentalité.