Halloween dans « Le Monde », une drôle de célébration américaine accueillie avec scepticisme en France
Désormais banalisée dans l’Hexagone, cette célébration est évoquée pour la première dans le quotidien le 22 décembre 1950, avant de nourrir les pages cinéma, puis de susciter le débat par son aspect « mercantile ».
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a toute première fois que Le Monde a écrit Halloween, c’était… à Noël. Le 22 décembre 1950, Christine de Rivoyre consacre un article à « Christmas en Amérique ». La journaliste s’étonne du « big business » de Noël outre-Atlantique : « Dès la rentrée des classes il s’est fait pressentir. A peine a-t-il attendu que les citrouilles d’Halloween, fête des fées et des garnements farceurs, se soient évanouies sous la brume d’octobre et dans un bruit de pétards (…). On achète, on achète, on achète. »
La fête d’Halloween n’est, tout au long des années 1950 et 1960, qu’un objet de curiosité très ponctuel pour le quotidien. Le 2 novembre 1953, Le Monde décrit à ses lecteurs cette drôle de célébration dans les rues de Washington : « Trick or treat, tel est le mot d’ordre que des millions d’enfants américains répètent depuis hier soir, frappant à toutes les portes, vêtus d’étranges oripeaux. »
Succès du film d’horreur
A partir des années 1970, le mot devient familier aux lecteurs des pages cinéma, imposé par le succès du film d’horreur Halloween. La Nuit des masques, dont Jacques Siclier écrit, le 30 mars 1979 : « L’impression d’angoisse est telle qu’on la ressent pendant tout le film. Sans une minute de défaillance, John Carpenter nous maintient sur la corde raide d’un suspense qui va se répéter », à savoir des meurtres commis le soir d’Halloween.
Le terme surgit parfois de façon inattendue. Dans un grand entretien paru le 7 mai 1984, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges raconte s’être trouvé dans le Wisconsin un soir d’Halloween : « J’ai très peur des carnavals, j’ai peur des masques, mais j’étais là, dans cette université, et tout le monde se déguisait (…). Alors je me suis dit : “Je ne veux pas jouer les trouble-fêtes et je vais me déguiser.” De toute façon, ça n’allait durer que peu de temps. J’ai donc investi 2 dollars pour m’acheter une grande tête de loup, dûment hirsute, aux yeux effrayants, avec d’énormes crocs, etc. Je suis alors entré dans une salle où il y avait beaucoup de gens travestis, aussi terrifiants que moi, en hurlant “Homo homini lupus”, la phrase de Hobbes : “L’homme est un loup pour l’homme.” »
Au début des années 1990, la France ne s’intéresse encore guère à cette fête. Au point que le « jovial directeur général » du parc Euro Disneyland qui ouvre en 1992, Philippe Bourguignon, affirme, le 11 avril 1993 : « La plupart de nos visiteurs viennent se dépayser dans une atmosphère qu’ils veulent le plus authentiquement américaine. Mais fêter Halloween ne signifie pas grand-chose pour eux. Nous avons donc décidé de mettre l’accent sur des événements plus familiers pour les Européens comme la Saint-Jean, la Saint-Nicolas… »
Contre l’invasion des potirons
Mais trois ans plus tard, le 24 octobre 1997, le journaliste Jean-Michel Normand constate qu’il devient difficile, l’automne venu, d’échapper aux « citrouilles décorées ». Cette année-là, une nouvelle étape semble avoir été franchie. « Marks & Spencer vend des sucreries spéciales, Disneyland Paris se met à l’heure des revenants du 25 octobre au 2 novembre, le distributeur de jouets Toys‘R’Us fait de même et propose maquillages et déguisements… »
La trajectoire du mot « Halloween » dans les colonnes du Monde semble épouser celle de l’envol de la consommation de masse en France. Le 24 octobre 1999, la fête gagne encore du terrain en squattant les écrans de télévision, nous apprend Sylvie Kerviel. Le 3 novembre de la même année, le critique de cinéma Jean-François Rauger lance un rituel : l’article d’opinion contre cette « importation mercantile ». Tous les automnes, une plume du journal s’élève contre l’invasion des potirons… Exemple, le 27 octobre 2000 : « Halloween confirme que la mondialisation est une américanisation (…), écrit l’écrivain Jacques Gaillard. Imaginez-vous les petits Blanchard et les jeunes Dupont fêtant le Nouvel An chinois et croquant des loukoums dans les salles obscures ? »
Le journaliste du Monde Pierre Georges tranche le débat le 1er novembre 2000 : « Halloween a gagné ! K.-O. la mort (…). Les enfants ont choisi de s’offrir, délicieuse peur, de faire sa fête à la mort. Est-ce bien, est-ce mal ? Pas d’opinion, mon général ! Et encore moins l’envie de courir les villages et campagnes de France en jetant de lugubres et vengeurs : "Halloween go home !" »
L’Eglise semble affolée
Le lendemain, le spécialiste des religions dans Le Monde, Henri Tincq, prend le relais tant l’Eglise semble affolée face au succès de cette fête païenne : « Le vrai constat, à propos d’Halloween, c’est que l’Eglise a perdu le monopole de l’initiative festive et celui de l’approvisionnement en symboles religieux des fêtes collectives. » Un an plus tard, le 31 octobre 2001, la correspondante du Monde aux Etats-Unis, Sylvie Kauffmann, parcourt une Amérique meurtrie par le 11-Septembre : « L’humeur est à la sobriété : les décorations qui, chaque année à cette époque, assaillent porches, façades et jardins à travers toute l’Amérique sont cet automne réduites au minimum, voire inexistantes. »
En France, le débat Halloween ou Toussaint est, en 2002, désormais pris en charge par l’Eglise. « Entre les saints et les sorcières, la guerre est déclarée, annonce Henri Tincq le 2 novembre. Des jeunes catholiques devaient distribuer dans les rues de Paris, vendredi 1er, jour de la Toussaint, et samedi 2 novembre, jour des morts, un numéro spécial de Paris Notre-Dame, le journal du diocèse, avec en titre les mots “Holy Wins” et en illustration une croix transperçant une citrouille ! » « En 2002, 27 % des foyers français et 38 % des 15-24 ans envisageaient de fêter l’événement, détaille Laure Belot le même jour. C’est une fête qui n’est pas spécialement célébrée à Paris intra-muros mais qui touche plutôt les régions et la banlieue parisienne. »
Après l’affolement de l’Eglise, celui des Etats. Le 1er novembre 2005, Le Monde rapporte que le président vénézuélien Hugo Chavez s’en est pris à la fête d’Halloween, une « coutume satanique américaine » inspirée par le « terrorisme » et destinée à « effrayer les peuples ». Mais bientôt, le soufflé retombe. Du moins en France. Le 31 octobre 2006, Jean-Michel Normand parle d’un « sale temps pour les sorcières », confirmé par les professionnels.
Devenue suffisamment banale au cours de cette dernière décennie pour que plus personne ne s’alarme de sa popularité ou ne souligne, au contraire, son déclin, la fête d’Halloween est aujourd’hui l’occasion de recommandations culturelles et touristiques à destination des plus jeunes. En 2021, la journaliste Clara Georges dressait une liste de livres jeunesse « à lire à la lueur des lanternes, tapi sous la couette » et, cette année, Gladys Marivat recense les ateliers organisés dans des fermes d’Ile-de-France.
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