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CHRONIQUE. Les manifestations en Iran, femmes en tête, invitent à découvrir la nouvelle traduction en français du recueil «Une autre naissance» de la grande poétesse iranienne Forough Farrokhzâd
Depuis le 16 septembre, date de la mort de la jeune Mahsa Amini suite à une interpellation par la police des mœurs pour port inadéquat du voile, les jeunes Iraniennes, rejointes par les jeunes Iraniens, bravent la mort et manifestent, chaque soir, dans les grandes villes du pays. Les petits-enfants de la révolution de 1979 sont rejoints à leur tour par des hommes et des femmes de tous âges et de tous milieux.
Cri de ralliement
Face aux balles réelles tirées par la police, ils manifestent avec ce slogan comme porte-étendard: «Femme, vie, liberté!» Comme l’écrivait la romancière franco-irannienne Sorour Kasmaï dans Le Monde, le 27 septembre: en cas de victoire du mouvement sur le régime théocratique, il faudra inscrire ce cri de ralliement «sur le fronton des monuments publics iraniens comme une devise d’avenir rappelant le rôle et l’importance des femmes dans l’histoire moderne du pays».
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Femme, vie, liberté! Quelle puissance contenue dans ces trois mots, placés ainsi, dans cet ordre-là! Comme un surgissement vital. Trois mots qui font un poème. Depuis le 16 septembre, devant ces foules qui descendent dans la rue la nuit venue, on pense à une grande figure de la poésie moderne iranienne: Forough Farrokhzâd, née en 1934 et décédée prématurément dans un accident de voiture en 1967. On y pense d’autant plus et d’autant mieux que l’on dispose d’une nouvelle traduction en français de son recueil le plus connu, celui qu’elle estimait aussi comme celui de la maturité: Une autre naissance. Laura Tirandaz et son père Ardeschir Tirandaz cosignent cette traduction aux Editions Héros-Limite et tous deux étaient à Genève pour Poésie en ville du 22 au 25 septembre.
«Voir la foule heureuse»
Dans l’Iran des années 1960, Forough Farrokhzâd parle de désir, de liberté. Une sensualité des corps, de la nuit traverse son œuvre. Cette nouvelle traduction fait vibrer sa voix en français, avec un rythme, une tension qui lui rendent justice. Forough Farrokhzâd nous parle aujourd’hui, femmes et hommes de 2022, par sa façon d’évoquer la solitude et l’impossibilité de faire coïncider l’immensité du désir et l’étroitesse du réel. De poème en poème, l’image de la fenêtre ouverte sur un jardin, sur la rue, sur la nuit, revient souvent. Le Don, le poème inscrit sur sa tombe, se termine par ces vers: O ami, si tu viens dans ma maison, apporte-moi/une lumière/Et une petite fenêtre/Que je puisse voir la foule dans la nuit heureuse.
Malgré la répression, il y a du bonheur dans les rues iraniennes quand les jeunes femmes enlèvent leur voile, le jettent au feu, dansent et chantent. La nuit heureuse, oui, heureuse.
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