Inscrire un « droit à l’avortement » dans la Constitution est symbolique mais pas anodin.
Par Philippe Oswald - Publié le 03 décembre 2022 - Photo : Shutterstock
Le 25 novembre, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité (337 voix pour, 32 contre) la proposition de loi présentée par Mathilde Panot ( LFI) « visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse » en l’inscrivant dans la Constitution. Cette proposition de loi a été déposée en réaction à une décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 (cf. LSDJ n° 1622 et LSDJ n°1635) qui ne permet ni n’interdit l’avortement mais rend à chaque État fédéral la liberté de légiférer. En France, pays unitaire dont la constitution et les mentalités sont très éloignées des mœurs et du système politique américains, on ne voit pas ce qui menacerait la pratique de l’avortement, garantie par la loi du 17 janvier 1975. Le fait est que la France est en tête des pays européens pour le nombre officiel d’IVG par habitant. Selon la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (DREES), « alors que le nombre d’IVG oscille depuis le milieu des années 2000 autour de 225 000 par an, le taux global de recours à l’IVG tend à augmenter, dans un contexte où le nombre de femmes en âge de procréer baisse ». Face à un tel « score » (deux fois plus d’avortements en France qu’en Allemagne), l’urgence exige une politique de prévention de ce drame intime et de ce fléau social qui touche de plein fouet les couches les plus fragiles de la population.
Le texte proposé à l’Assemblée a été finalement voté sous la formule suivante : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». S’il est voté dans les mêmes termes par le Sénat, le « droit à l’avortement » pourra être intégré dans un nouvel article de la Constitution, autrement dit, sacralisé : une constitution, c’est en quelque sorte l’âme d’un régime politique, son principe vital...Notons que la partie paraît bien engagée pour Mathilde Panot, rapporteur du texte : bien qu’appartenant à l’opposition de l’extrême-gauche LFI, elle bénéficie pour son texte d’un avis favorable du gouvernement. Dans son sillage, la majorité des députés a superbement ignoré l’interpellation du député LR Marc Le Fur : « Vous voulez absolument engager ce débat, alors que, dans notre pays, 220 000 avortements sont pratiqués par an. Certains d’entre vous veulent-ils augmenter ce chiffre ? J’ose espérer que non ! » C’est pourtant dans cette direction que s’est engouffrée presque toute l’Assemblée. Sans même concéder la proposition de constitutionnaliser aussi la clause de conscience spécifique des médecins et professionnels de santé (Patrick Hetzel, LR). Marine le Pen, qui avait laissé la liberté de vote aux députés RN, a surpris en déposant un amendement allant dans le sens de la constitutionnalisation.
Parmi les 32 opposants, citons les plus actifs : les LR Anne-Laure Blin, Marc le Fur, Xavier Breton, Patrick Hetzel, Fabien Filippo et Emmanuelle Ménard (non inscrite). Celle-ci a averti les députés : inscrire l’avortement dans la Constitution, « en faire un droit illimité [...] c’est ouvrir la boîte de Pandore et donner prise à toutes les surenchères. Demain, vous voudrez y mettre l’euthanasie, le droit au changement de sexe, la PMA et la gestation pour autrui (GPA) […] Chacun pourra surenchérir ». De fait, au-delà de sa fonction « symbolique », c’est-à-dire, selon Le Larousse, significative d’une intention, l’inscription d’un droit à l’avortement dans la constitution ferait vraisemblablement tomber les dernières restrictions à l’IVG. Il deviendrait possible de l’obtenir jusqu’au terme de la grossesse, voire en raison du sexe de l’embryon ou du fœtus.
Dans l’enthousiasme de la victoire, Mathilde Panot a pressé le gouvernement de déposer un projet de loi reprenant naturellement la proposition votée par la majorité des députés : « Aujourd’hui, l’Assemblée nationale parle au monde, […] La balle est dans le camp du gouvernement : nous attendons le projet de loi du gouvernement ». Cependant, conformément à la procédure, la proposition de loi a été transmise au Sénat où le texte doit être « voté conforme » (c’est-à-dire sans modification) par les sénateurs. Mais puisqu’il implique une révision de la Constitution, il devra en outre être soumis à un référendum ou à un vote des parlementaires, députés et sénateurs, réunis en Congrès à Versailles pour être définitivement adopté (il faut pour cela une majorité des 3/5ème des suffrages exprimés). Une opposition de l’une des deux assemblées, du président de la République ou du Premier ministre empêcherait la révision constitutionnelle d’aboutir. Hypothèse d’école… On s’achemine donc vers une vingt-troisième révision de la Constitution de 1958, ce qui n’est pas le signe d’une grande stabilité politique. Ajoutons que des juristes contestent que l’inscription dans la Constitution d’un « droit à l’avortement » rende celui-ci réellement intouchable par le législateur (article d’Alliance Vita en lien ci-dessous).