ANALYSE - Le pape émérite était convaincu de l’importance de la culture française et croyait en la capacité d’influence de notre pays sur le monde entier.
Il fallait entendre le pape Benoît XVIparler français pour saisir son amour profond de notre pays et sa culture. Vocabulaire choisi, phrases précises et argumentées, style classique presque parfait, références culturelles nourries, il savait de quoi il parlait quand il s’adressait à la France et aux Français. Qu’ils soient catholiques ou non, d’ailleurs, car ce pape intellectuel tenait en haute estime le dialogue avec la laïcité, avec les athées et les agnostiques. Pour lui, c’était une occasion d’exprimer au mieux l’essence du christianisme à travers le débat et l’échange d’arguments, une discipline qu’il chérissait. Bien loin de l’image du conservateur abscons et étroit que dépeignent ceux qui bien souvent ne l’ont jamais lu.
Si Jean-Paul II fut également un amoureux de la France, au sens presque charnel - il la visita huit fois, autant que sa Pologne natale -, Benoît XVI tenait en haute estime l’esprit français, dans sa profondeur spirituelle et philosophique, appréciant tout particulièrement cet art de la controverse.
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Il ne visita cependant qu’une fois le pays en tant que pape, du 12 au 15 septembre 2008. Un voyage mémorable, avec cette messe impressionnante de recueillement sur l’esplanade des Invalides à Paris, son discours au Collège des Bernardins et une étape spirituelle au sanctuaire de Lourdes. On a d’ailleurs oublié ce discours des Bernardins, qui mérite relecture. Ce texte appartenait à une trilogie développée à Paris, en Allemagne et en Angleterre par Benoît XVI, défendant les fondements de la culture européenne. Selon lui, il était capital de lutter contre le relativisme qui sapait les valeurs sur lesquelles le modèle civilisationnel européen était fondé. Dont la démocratie, qu’il jugeait en péril si les élites européennes laissaient s’écouler le cours de choses.
Un lien d’intimité
Là aussi, quel contraste entre la pertinence d’une analyse approfondie et la caricature d’un pape arriéré, hors du temps, qui n’aurait rien compris à son époque. Peut-être plus qu’aucun pape récent il avait saisi de l’intérieur les conséquences de l’écroulement intellectuel de la civilisation démocratique européenne. Civilisation qu’il aimait relier en une continuité historique et intellectuelle de Jérusalem à Rome en passant par Athènes.
Mais Paris était pour lui l’une de ces nouvelles capitales du monde des idées. Il espérait beaucoup de la France intellectuelle. Il était convaincu de l’importance de la culture française et croyait en la capacité d’influence de notre pays sur le monde entier.
La stature intellectuelle du futur Benoît XVI avait été reconnue à Paris, avant même qu’il ne devienne pape, et ce ne fut pas un hasard de voir Joseph Ratzinger être élu le 13 janvier 1992 comme membre étranger de l’Académie des sciences morales et politiques au fauteuil d’Andreï Sakharov. Il avait une bonne connaissance du bouillonnement intellectuel des années 1950 en France. Il avait lu et étudié de près Sartre et Camus, entre autres. Il avait aussi suivi la floraison des «nouveaux philosophes» des années 1970. En 1999, il fut ainsi invité à la Sorbonne pour intervenir sur la crise de la vérité dans la culture actuelle.
Joseph Ratzinger, puis Benoît XVI, a entretenu un lien d’intimité et un vaste réseau d’amitiés avec cette France chrétienne et catholiqueEt puis, il y avait l’autre France, celle qui croyait au Ciel. Cette France chrétienne et catholique avec qui Joseph Ratzinger, puis Benoît XVI, a entretenu un lien d’intimité et un vaste réseau d’amitiés. Il y eut évidemment les grands auteurs de théologie, dont beaucoup sont devenus ses amis, Henri de Lubac, Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Jean Daniélou, Louis Bouyer. Il en rencontra certains lors du concile Vatican II (1962-1965), où le jeune prêtre allemand était expert, au service du cardinal Joseph Frings, archevêque de Cologne. Il a ensuite poursuivi avec eux un dialogue théologique nourri, dans le cadre de la commission théologique internationale, mais aussi à titre personnel. Là aussi, il fallait entendre le cardinal Ratzinger citer de mémoire de Lubac, Congar ou Daniélou pour mesurer sa proximité intellectuelle avec les théologiens français.
Réconciliation intérieure
Autre amitié marquante, celle nouée avec le futur cardinal Jean-Marie Lustiger, que Joseph Ratzinger a connu en 1954 alors que le futur archevêque de Paris était aumônier de la Sorbonne. En 2002, trois ans avant qu’il ne devienne pape, celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi avait été invité par le cardinal Lustiger à conclure la série des conférences de carême en la cathédrale Notre-Dame de Paris.
La cathédrale de Paris fut également le théâtre d’une conférence retentissante du cardinal Ratzinger, en 1983, à propos de l’enseignement de la catéchèse où il se montra très critique sur les méthodes alors diffusées en France dans le manuel Pierres vivantes, qui était soutenu par la Conférence des évêques. La bataille fut rude et témoigne des relations tendues entre le cardinal Ratzinger et l’aile progressiste du catholicisme français dont il fut la cible, ardemment combattu y compris quand il devint pape.
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Dans la vision de l’Église portée par Benoît XVI résidait enfin la question de la liturgie, sujet très sensible en France, où les communautés traditionalistes ont toujours trouvé en la personne de Joseph Ratzinger, théologien, prélat ou pape, un appui, un soutien constant, jusqu’à la reconnaissance le 7 juillet 2007, par le motu proprioSummorum pontificum, libéralisant la célébration de la messe selon le missel promulgué par saint Pie V et réédité par Jean XXIII. Dans certains milieux du catholicisme français, le «Panzer Kardinal» et son «conservatisme» effréné furent alors brocardés, sans comprendre combien la réconciliation intérieure de l’Église catholique, entre sa tradition et sa modernité, était l’essence de cette décision. Aux yeux de Benoît XVI, la France était un laboratoire pour l’Église.
Dernière image, en 2004, un an avant qu’il ne soit élu pape, Joseph Ratzinger avait représenté Jean-Paul II aux cérémonies du soixantième anniversaire du Débarquement. On avait alors vu la dignité simple de ce catholique allemand sur les terres d’une Normandie marquée par une guerre encore douloureuse. Il se présentait là en artisan de réconciliation et en frère d’une France que cet homme aimait.
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