DÉCRYPTAGE - La généticienne Alexandra Henrion Caude s’en prend avec force à l’utilisation massive de l’ARN messager dans un livre à charge publié cette semaine. Et elle nous annonce un déluge d’effets indésirables. Alain Fischer, coordinateur national de la stratégie vaccinale, lui répond.
Le Figaro Magazine
Trois ans déjà! Trois ans que le ciel nous est tombé sur la tête. Tout cela paraît loin, et la vie a repris son cours, y compris en Chine. Pourtant, le virus court toujours, sous la forme d’un énième variant banalisé. En revanche, il reste «virulent» dans le débat scientifique. Car beaucoup de questions demeurent en suspens. Telle celle-ci, oubliée en chemin: le virus s’est-il échappé d’un laboratoire ou résulte-t-il d’une interaction entre la faune sauvage et le monde humain? Ce point qu’on croyait réglé en faveur de l’hypothèse d’une transmission par le monde animal n’a toujours pas été tranché, faute de pouvoir mener en Chine une enquête sérieuse. Ou celle-ci: a-t-on eu raison de mettre à l’arrêt l’économie de la planète pour une épidémie qui a tué aujourd’hui près de 7 millions de gens dans le monde, dont 90 % avaient plus de 80 ans? Le comptage planétaire du nombre de morts du Covid est une autre question difficile. Des chiffres officieux nous parlent de 16 millions de morts. Restons-en aux chiffres officiels. Font-ils de cette pandémie le cataclysme redouté il y a trois ans par les alarmistes?
Souvenons-nous des ordres de grandeur redoutés. En février 2020, un article dans le New England Journal of Medicine s’inquiétait du taux de contagion de ce Covid et il le comparait aux ravages de la grippe espagnole. Il rappelait qu’elle avait tué «plus de 50 millions de personnes, soit l’équivalent de 200 millions de la population d’aujourd’hui». En 2009, une épidémie grippale venue du Mexique avait déjà réveillé les fantômes de 1918. Les sujets jeunes et en bonne santé étaient touchés, et le virus était difficile à détecter. Un épidémiologiste hollandais avait prédit jusqu’à 40 millions de morts possibles, et finalement le virus s’est volatilisé aussi vite qu’il était apparu.
Le livre antivax
À l’automne 2019, le rapport de l’OMS mettait à nouveau en garde contre un risque de pandémie, non identifié à l’époque, capable de tuer «jusqu’à 80 millions» d’humains sur la planète. Au regard de ces chiffres, le SARS-CoV-2 est un tueur bien plus modéré qu’on ne l’avait redouté. On ne saura jamais combien d’humains seraient morts si on l’avait laissé courir en attendant qu’il s’atténue par la sélection naturelle - certains ont évoqué 60 millions de morts si aucune précaution d’aucune sorte n’avait été prise. Six à huit millions de morts en trois ans, selon les chiffres officiels, c’est moins que le nombre de décès dus aux maladies respiratoires chaque année - soit 2,6 millions. Avec une population mondiale de 7,9 milliards d’habitants, la question reste posée de savoir si cette maladie méritait de confiner et reconfiner au prix d’une accumulation de dettes considérable dont les effets se feront sentir à la prochaine crise économique. La question se pose aussi de savoir si cela valait la peine de négliger les autres pathologies, notamment les maladies chroniques, ou d’interdire aux vieillards de voir leurs proches, aux endeuillés de voir leurs morts. Ou de priver les enfants d’école pour mieux les gaver de réseaux sociaux. Toutes ces questions seront jaugées, pesées, et les politistes, les épidémiologistes, les historiens nous donneront les réponses nuancées que les polémiques de plateaux télé ne peuvent pas apporter.
En attendant, la grande panique a laissé des traces, et certains sont prêts à souffler sur les braises. C’est le cas d’Alexandra Henrion Caude. L’ancienne généticienne de l’Inserm publie un livre enflammé qui s’en prend au vaccin ARN messager, produit par les laboratoires Pfizer et Moderna. Les ventes en ligne de son livre se sont envolées avant même la mise en place dans les librairies: la minorité des vaccinosceptiques reste mobilisée. Antivax ou simplement interrogatifs, ils remettent en cause la pertinence d’un vaccin dont la technique de fabrication ne les a jamais rassurés, et ils dénoncent aussi l’obligation du passe sanitaire pour la population générale, dont pourtant Emmanuel Macron avait promis qu’elle n’aurait pas lieu.
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Cet ouvrage convaincra les convaincus. Alexandra Henrion Caude est considérée par nombre de ses ex-collègues, dont certains furent ses amis, comme une illuminée.L’un d’entre eux nous a enjointde ne pas même évoquer son livre: «Elle est devenue folle», nous a-t-il prévenu. Cette pasionaria ne manque pas d’un certain courage. Elle va prendre des coups, et elle y est prête. Sans doute aime-t-elle les sports de combat. Comme elle le dit d’elle-même, sans déplaisir: «J’électrise les foules, c’est comme ça, je n’y peux rien.» Bien sûr, elle a commis des imprudences en se compromettant avec des complotistes infréquentables. On l’a vue aux côtés de Francis Lalanne à l’occasion d’un meeting antivax. Elle recommence aujourd’hui avec ce livre qui est un brûlot contre Big Pharma et ses promesses mirobolantes.
Si ce vaccin était toxique, on le saurait!
Il nous dit en effet que ce vaccin produit et produira des effets indésirables graves, il nous dit aussi que la technique de l’ARN messager pourra se recombiner à l’ADN des vaccinés et engendrer des pathologies graves, transgénérationnelles ou intergénérationnelles. Faut-il l’écouter? De nombreux médecins rapportent que leurs patients vaccinés ont ressenti des effets pénibles, parfois graves. Les myocardites sont souvent citées, et l’étude publiée le 27 novembre 2022 dans la revue Cardiologie, qui s’appuie sur l’autopsie de patients vaccinés et victimes de morts subites, le confirme. Mais ces effets indésirables dépassent-ils ceuxque l’on constate en moyenne avec les autres vaccins? On sait que le phénomène est horriblement difficile à mesurer. Soit qu’il y ait trop de sous-déclarations, soit qu’il y ait trop de surdéclarations - on mesure jusqu’à 30 % d’effets indésirables rapportés par ceux qui ont reçu un vaccin placebo.«Il faut se méfier de l’effet de coïncidence: si vous vaccinez 1 million de personnes, vous savez que certains vont mourir juste après pour des raisons toutes autres (incidents cardiaques, etc.). C’est statistique», nous prévient Alain Fischer, coordinateur de la stratégie vaccinale en France. «Il y a eu 2 milliards de doses dans le monde, et 800 millions dans l’UE, et 1 milliard de personnes ont été vaccinées à l’ARN messager, si ça devait être toxique, on le saurait!» nous dit-il par téléphone. La brèche dans laquelle s’engouffrent les antivax, et on les comprend, est le résultat d’une communication arrogante des laboratoires et des autorités de santé. Le vaccin devait protéger à 95 % et empêcher la transmission. Les premiers retours sur la baisse rapide du niveau de protection ont montré qu’il y avait quelques défauts sur la belle image. Le 16 février dernier, la revue The Lancet a publié une très vaste étude qui montre que l’immunité naturelle est plus durable que celle conférée par la vaccination. À l’heure du grand «débrief», chacun comprend peu à peu que rien n’est blanc ou noir: tout est gris. Les provaccin inconditionnels nous auront fait croire que tout est blanc, et les antivax que tout est noir. Ceux qui refusent de se laisser enfermer dans cette tenaille sont mal à l’aise. Et pas seulement chez les simples citoyens. Chez les virologues aussi, le débat va bon train.
L’effet omicron
L’un d’entre eux nous a transmis un graphique très parlant (voir ci-contre). On y voit que ce n’est pas le vaccin, mais le variant Omicron, plus contagieux et moins tueur, qui a le plus efficacement répandu l’immunité collective que tout le monde attendait. Alors, quelle stratégie fallait-il adopter? Fallait-il inoculer le vaccin larga manu, y compris aux enfants? «En santé publique, le rapport bénéfice-risque peut être rude, et parfois en contradiction avec le serment d’Hippocrate. Vacciner tout le monde, c’est courir le risque d’effets indésirables, car on sait qu’il y en aura. Ne pas vacciner tout le monde, c’est courir le risque de formes graves développées à cause de la transmission du virus par des porteurs sains. L’approche vaccinale est probabiliste. Même si le vaccin protège moins que prévu, il protège quand même. Tout ce qui pouvait contribuer à diminuer la circulation était bon à prendre. Et le vaccin a joué ce rôle», nous répond Philippe Kourilsky, professeur honoraire au Collège de France. Peut-être que cette pédagogie aurait été mieux comprise plutôt qu’une affirmation catégorique à propos d’un vaccin qui protège à 95 % contre la maladie et sa circulation.
Mais la question demeure: ne fallait-il pas appliquer les règles de prophylaxies élémentaires et attendre que le virus, de moins en moins virulent, fabrique l’immunité collective? C’est ce que pense Martin Blachier, docteur en santé publique et auteur de Méga-gâchis. Histoire secrète de la pandémie (Éditions du Cerf): «On a fait le passe vaccinal au moment où Omicron a émergé. Si on avait un peu serré les dents, on aurait vu qu’Omicron pouvait jouer le rôle immunitaire du vaccin. En juin 2021, on sait que le vaccin ne protège pas contre la transmission, via les données israéliennes. Si on n’avait vacciné que les plus de 65 ans à ce moment-là, on aurait eu un résultat assez proche de celui qu’on a eu en vaccinant toute la population.» Évidemment, avec des conditionnels, on met Paris en bouteille. Ce n’est pas ce que pense Philippe Kourilsky: «Si on avait attendu un vaccin trop longtemps, il aurait fallu maintenir des restrictions et des confinements, et les gens ne pouvaient plus supporter de vivre comme ça! Regardez ce qui s’est passé en Chine, dans un régime autoritaire: la population a dit stop.»
Utile contre les formes graves
Cette remarque suppose un choix binaire auquel nombre de médecins pensent qu’on aurait pu échapper: le confinement ou le vaccin. «On pouvait s’en tirer avec l’encouragement au télétravail, la fermeture des bars, et des précautions d’hygiène dans l’espace public», maintient Blachier. Quant à l’alerte sur les effets indésirables, elle ne peut, cela va de soi, être négligée. Le livre d’Alexandra Henrion Caude est provocateur. Il obligera ceux qui contestent les nombreuses études qu’elle cite à en démontrer l’inexactitude. «Je fais aussi ce livre pour entendre des réponses, après tout j’ai dénoncé le port du masque, j’ai dit que ce virus sortait d’un laboratoire, et le retour d’expérience tout comme les enquêtes sur l’origine du SARS-CoV-2 commencent à me donner raison», nous dit-elle. «Le plus grave, répète-t-elle, est la vaccination des enfants.» Ce point, le plus sensible, est vigoureusement contesté par le généticien Jean-Laurent Casanova, grand spécialiste des effets des maladies infectieuses sur le génome humain: «Bien sûr qu’il faut vacciner les enfants», nous répond-il.
Alain Fischer conteste lui aussi toutes données consolidées sur des effets indésirables graves. Et il nous met en garde: «Il y a un très long historique de fausses alarmes lancées par des scientifiques. En 1998, le chercheur britannique A. J. Wakefield avait affirmé que le vaccin contre la rougeole était à l’origine de l’autisme: cela a déclenché une vague antivax, alors que la démonstration a été faite par la suite que c’était faux.» Un autre exemple: le vaccin contre l’hépatite B. «On a prétendu qu’il déclenchait la sclérose en plaques. Les études qui ont été faites ont démontré qu’il n’y avait aucune association entre les deux et qu’il s’agissait d’un effet de coïncidence.» Enfin, il insiste sur l’importance de la protection contre les formes graves du Covid, qui a sauvé bien des patients à risque: «Le premier niveau de protection diminue vite, c’est vrai, mais le second se maintient à un niveau élevé, ce qui s’explique par le mécanisme d’activation plus lent de la réponse immunitaire, qui se met en place quand le virus a déjà commencé à s’installer dans l’organisme.»
La hantise de l’homme modifié
Il est cocasse de noter que ce vaccin contre lequel les antivax se dressent existe grâce à Donald Trump. «Les 18 milliards de dollars que le gouvernement américain a mis sur la table ont eu un effet majeur. Les laboratoires ont pu tester en même temps plus de 50 000 patients, sans crainte du risque financier», constate Alain Fischer pour expliquer la mise en place extrêmement rapide de ce vaccin. Alexandra Henrion Caude ne convainc d’ailleurs pas quand elle s’alarme de la recombinaison de l’ADN par l’ARN messager, risque hautement contesté par la communauté scientifique. «Elle s’appuie sur un papier très contesté de 1974, qui est une expérience faite sur une lignée cellulaire unique, pas une cellule physiologique. Il faudrait que l’ARN franchisse dix frontières avant et même s’il y avait une intégration de l’ARN dans l’ADN, cela n’aurait pas forcément une conséquence pathologique», répond Alain Fischer.
Reste le débat sur le coût des confinements, le coût des tests remboursés, le coût du vaccin au prix de revient plus que juteux pour les laboratoires. Reste, enfin, le débat sur la restriction drastique des libertés de circulation. Alain Fischer défend aussi son bilanquand il nous dit que «les études sur le vaccin ARN messager estiment que 20 millions de vies ont été sauvées. Plus les pays ont vacciné, plus ils ont récupéré une espérance de vie». Mais de quelle espérance de vie parle-t-on? Des plus de 80 ans ou de tous les âges de la vie? Un épidémiologiste nous a confié, anonymement, le commentaire suivant: «Sans minimiser cette épidémie, et au risque de la lapidation, il faut quand même dire qu’un âge moyen de décès supérieur à 80 ans est un chiffre en faveur de la bénignité.» Et il poursuit: «Aux États-Unis en 2022, le Covid a tué environ 200 000 personnes de plus de 80 ans. Les mesures en ont possiblement épargné 40 000, mais le nombre d’années-qualité de vie gagnées est certainement négligeable, dans ce pays où l’espérance de vie n’est que de 76 ans. Au cours de la même année, les armes à feu ont tué 44 000 personnes plutôt jeunes, faisant perdre au minimum 1 200 000 années-qualité de vie. Toujours dans le même pays, le Fentanyl, prescrit pour les douleurs, a tué 60 000 personnes, faisant perdre 1,5 à 2 millions d’années-qualité de vie.»
Les épidémiologistes sont de froids calculateurs. Si on avait demandé l’avis de ceux qui se taisent, ils auraient pu suggérer d’organiser des fêtes pendant le confinement ou de brûler des stocks de Fentanyl plutôt que vacciner tous azimuts.
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