par ZEP Zone d'expression prioritaire
par ZEP Zone d'expression prioritaire
En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep. media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.
«Mes parents ne veulent plus que j’y sois par peur que je me refasse avoir»
Anaïs, 16 ans, lycéenne, Grande-Synthe (Nord)
«Pour moi, les réseaux sociaux sont importants, si ce n’est vital ! Je passe des heures sur Instagram, je scrolle et scrolle, encore et encore. Dans les commentaires, on me dit que j’ai un beau corps et ça me fait très plaisir de me sentir aimée par des gens.
«Avant que je n’utilise les réseaux, je ne m’acceptais pas car je me sentais “grosse”. Je me répétais que jamais je ne pourrais plaire, que je n’aurais jamais d’amoureux. Mes soi-disant amies me rabaissaient, elles me disaient que jamais je n’aurais de copains, que je n’aurais même pas dix abonnés. Donc je me suis lancé un défi : avoir plus de dix abonnés.
«J’ai créé mon compte, j’ai posté une photo de moi, de ma tête plus précisément. Mes abonnés m’ont complimentée, ont liké et commenté. J’étais contente. J’ai appris à avoir confiance en moi grâce aux commentaires qu’on laissait sur mes publications du genre : “T’es magnifique” ; “T’es belle” ; “Ton corps est incroyable.” Depuis, je ne quitte plus les réseaux. J’y suis tout le temps. C’est plus qu’une passion : c’est ma vie.
«Un jour, un mec de mon collège m’a demandé des photos de moi dénudée. J’ai immédiatement refusé. Il m’a menacée de me bloquer si je ne le faisais pas. Je ne voulais pas le perdre, alors je lui ai dit “OK”. Je lui ai envoyé des photos intimes sur Snapchat. Alors que les photos étaient censées être éphémères, il les a capturées et les a partagées à tout le monde. J’étais tellement mal. Le lendemain, je ne suis pas allée en cours par peur des critiques. J’en ai parlé à mes parents, je leur ai raconté toute l’histoire. Je me suis mutilée. Quand mon père a vu les traces, il a appelé une psy. En parler à cette personne m’a fait énormément de bien.
«Avec le temps, ma peine s’est atténuée, mais j’ai ressenti un manque de plus en plus fort des réseaux sociaux, que j’avais délaissés à cause de cette histoire. J’y suis retournée trois semaines après parce que ça me manquait de parler avec des gens et de liker les photos de mes abonnés. Mais j’avais peur que mes parents captent que j’avais réinstallé les applis. Ils ne veulent plus que j’y sois par peur que je me refasse avoir.
«Là, j’ai encore Instagram et Snapchat. Avant de rentrer chez moi, je prends bien soin de désinstaller toutes les applis que je réinstalle dès que je sors. Mon père vérifie mon téléphone, je n’aime pas mentir à mes parents, mais c’est plus fort que moi, c’est comme une drogue. Je peux me lever en plein milieu de la nuit pour vérifier si je n’ai pas de nouveaux commentaires sous mes publications. Je suis carrément obsédée par les réseaux sociaux. Et je ne suis pas la seule.»
«On devrait être libre et se sentir en sécurité de pouvoir poster ce que l’on veut»
Nélia, 15 ans, lycéenne, Gravelines (Nord)
«Ma mère m’a toujours dit de faire attention à tout ce que je postais sur les réseaux. Plus jeune, je me disais que ce n’étaient que des espaces de loisirs. Des endroits où on s’amusait, sans personne avec des mauvaises intentions. Ce n’est qu’aujourd’hui, maintenant que j’ai 15 ans, que je comprends tout le sens des mots de ma mère.
«Cela fait deux ans que je me montre sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram et Snapchat. J’aime beaucoup partager des moments intéressants de ma vie ou partager des photos prises avec mes amis. Il m’arrive aussi de poster des photos de moi, seule, sur lesquelles je porte plein de tenues différentes : robe, crop top, etc.
«Au fur et à mesure des années, j’ai eu de plus en plus confiance en moi. Et ça m’a poussée à me montrer. C’est à partir de là que j’ai commencé à recevoir sous mes stories des commentaires de garçons, parfois majeurs, du style : “T’es bonne” ; “Tu me donnes chaud” ; “Tu me fais de l’effet.” Pourtant, il n’y avait rien de provocant dans mes stories. C’étaient juste des moments entre amis. Sur les photos, on voyait à peine mes formes.
«La première fois que j’ai reçu ce genre de remarques, j’ai été choquée. C’était comme une claque et je ne savais pas comment réagir. Je me suis sentie mal. Mais je n’ai jamais osé en parler avec ma famille. Parce que j’avais peur que ma mère me demande de désinstaller les applications. Ou qu’elle me traite d’inconsciente, même si, au fond, je sais qu’elle me soutiendra.
«Que ce soit les commentaires sexistes ou les demandes de nudes, je trouve ça très méprisant. On devrait être libre et se sentir en sécurité de pouvoir poster ce que l’on veut, qu’on soit une fille ou un garçon. Cela me fait penser à ce qu’il se passe dans la vraie vie. Par exemple, quand ma mère me voit sortir seule, un peu maquillée ou avec une tenue “osée”. Elle me dit : “Fais attention, on ne sait pas sur qui on peut tomber.”»
«J’ai envie de devenir influenceuse»
Charlotte, 18 ans, en formation, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis)
«J’ai 6 000 filles qui me suivent sur Snap, 2 000 personnes sur Insta et 4 000 sur TikTok. J’ai aussi des garçons… Mais je ne les compte pas, eux, car mon contenu n’est que pour les filles. J’ai envie de devenir influenceuse. Depuis petite, je fais des vidéos sur les réseaux, je suis à l’aise dans ce domaine, ça me ressemble. J’aime partager mon quotidien avec celles qui me suivent, donner des bons plans, des bons restaurants, des bons lieux, des bons produits. Make-up, masques, hôtels, spas…
«J’ai commencé sur Snap où je proposais mon contenu. Au fur et à mesure, j’ai eu beaucoup de visibilité. Je suis à l’aise devant la caméra. Déjà petite, vers 10 ans, j’avais une tablette. Je montrais mes vêtements devant la caméra et je parlais comme si j’avais des gens qui me regardaient. Ça s’est fait tout seul. J’étais bavarde.
«J’aime beaucoup l’intérêt qu’on me porte sur les réseaux : je reçois des messages de remerciements chaque jour, je redonne confiance à beaucoup de filles. Par exemple : “Ton haut vient d’où ? Tu es trop belle, tu me redonnes confiance en moi, partage-nous des conseils…” J’ai vraiment l’impression d’avoir une réelle communauté autour de moi. J’en ai déjà rencontré en vrai, dans des centres commerciaux. On me demande : “C’est toi qui fais des stories ?”
«Snapper tous les jours, c’est un vrai travail. Mais pour beaucoup, c’est pris à la légère. Ce n’est pas si facile qu’ils le croient. Quand tu deviens connue, tu fais des shootings, tu as des rendez-vous, tu peux faire d’autres projets, il y a plein de voies qui s’ouvrent. J’espère que tout ça va m’arriver.»
«Mes complexes sont nés lorsque j’ai commencé à utiliser les réseaux»
Tessa, 15 ans, lycéenne, Toulouse (Haute-Garonne)
«Mes premiers complexes sont nés en sixième, lorsque j’ai commencé à utiliser les réseaux sociaux. Il n’y avait pas un seul jour où je ne me regardais pas dans le miroir en me disant que ce n’était pas juste que toutes ces filles sur Instagram aient une taille fine, des lèvres pulpeuses, une peau parfaite ou un nez parfaitement droit. Moi, j’étais tout l’inverse. Je détestais tellement mon physique que je finissais tous les soirs dans mon lit à pleurer et à me détester.
«A force de traîner sur Insta, j’ai développé un complexe du nez. Je le trouvais moche, bossu et pointu. Je voulais à tout prix faire une rhinoplastie à mes 18 ans. J’ai commencé à m’intéresser à Photoshop, et je me suis entraînée à modifier des parties de mon corps. Par-dessus tout, mon nez. Je le photoshopais sur absolument toutes les photos où on me voyait de profil… C’était devenu un rituel. Ça a duré un mois, un an… et à l’heure actuelle, ça fait cinq ans.
«Cinq ans que je continue de complexer. Cette année, j’ai commencé à parler à mes parents du fait que je voudrais faire de la chirurgie. Ils trouvent ça dommage que je détruise mon nez. Selon eux, il est beau et tout à fait normal, mais je pense qu’on n’a pas le même point de vue.
«Il y a certains influenceurs bienveillants et honnêtes que l’on retrouve avec le hashtag #nofilter, ce qui signifie qu’aucun filtre n’a été ajouté sur la photo. Je trouve ça sympa de leur part de montrer leurs imperfections et la réalité. Ils rassurent les jeunes, en montrant que tout n’est pas rose ni parfait dans la vie. Mon nez ne rentre pas dans les normes de beauté, mais je sais qu’un jour ou l’autre je l’aimerai sans chirurgie, sans filtre, sans Photoshop, sans aucune modification : juste au naturel, tel qu’il est.»
«Au fur à mesure que je scrollais, je me comparais»
Flore, 16 ans, lycéenne, Carvin (Pas-de-Calais)
«Ça fait bientôt huit mois que je ne suis plus trop sur les réseaux sociaux, et je n’en suis pas morte. Ça ne me manque pas de voir ces vidéos, de 30 secondes à 3 minutes, accompagnées par la dernière musique à la mode. “Oh, une personne qui danse !” ; “Oh, une personne qui joue avec son chien !” Honnêtement, qu’est-ce que je rate ?
«Je me suis inscrite sur TikTok et Insta pour faire comme tout le monde, pour plaire à tout le monde. J’ai suivi le troupeau. TikTok, pour moi, c’est l’application du mal-être et de la perte de temps. Quand on lance une vidéo, on juge l’esthétique avant de s’intéresser au fond. L’esthétique est basée sur des critères de beauté, des critères superficiels, accentués par de nombreux commentaires, souvent ignobles, et majoritairement anonymes.
«Au collège, le regard des autres était une obsession pour moi. “A quoi est-ce que je ressemble ?” ; “Est-ce que je suis bien coiffée ?” ; “Est-ce qu’on me regarde ?” Voilà des questions que j’ai pu souvent me poser. Sur TikTok et sur Instagram, je scrollais, scrollais, et scrollais encore. Je suivais des filles qui racontaient leur vie de rêve, avec des voyages aux Maldives, qui exposaient leur corps parfait en maillot de bain. Une vie bien différente de la mienne.
«Voir les photos de ces filles avait des effets sur moi. Moi qui suis petite, brune, un peu grosse. Au fur à mesure que je scrollais, je me comparais. Et je me trouvais de plus en plus de défauts : des rondeurs, de grosses joues, un nez pas parfait, etc. Au point que j’ai failli perdre toute estime de moi. Quand le confinement est arrivé, j’ai appris à m’écouter. Je me suis mise à passer plus de temps en famille, avec ma sœur et mes parents. Je me suis détachée de mon téléphone. Et j’ai coupé les ponts avec des relations néfastes, dans la vraie vie comme sur les réseaux.
«Malgré tout ce que je viens de dire, je reste persuadée que les réseaux sociaux peuvent être une ressource incroyable. Ils m’ont permis d’apprendre au quotidien, de m’informer, avec par exemple des vidéos de décryptage politique ou de développement personnel. Pendant le confinement, ils m’ont permis de garder le lien avec mes grands-parents et le reste de ma famille. Donc, les réseaux sociaux peuvent aussi transmettre de l’amour, du bonheur et être utiles. Tout dépend de l’utilisation que l’on en fait.»
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