https://www.lefigaro.fr/vox/politique/mathieu-bock-cote-decadence-crise-de-regime-et-renouveau-national-20230512

 

 

CHRONIQUE - Le diagnostic de Laurent Wauquiez sur l’état d’une France qu’il juge décadente conduit à une conclusion frappante: nous ne vivons plus vraiment en démocratie.

Laurent Wauquiez s’était imposé une cure de silence médiatique depuis deux ans. Elle n’était pas totale mais elle était significative. Il vient de la rompre dans le cadre d’un grand entretien accordé au Point, où il propose son diagnostic sur l’état d’une France qu’il juge décadente, aux élites dévorées par l’idéologie de la déconstruction. Plus encore, il cherche à diagnostiquer les causes de l’impuissance politique française dans l’évolution institutionnelle du pays, et diagnostique trois phénomènes distincts.

 

Laurent Wauquiez dénonce d’abord ce qu’il appelle «l’État profond», qu’il assimile à la multiplication des autorités administratives indépendantes, qui en sont venues à s’autonomiser du politique et, même, à le remplacer, au nom d’une légitimité expertocratique jugée supérieure. Il en appelle à leur suppression. Il dénonce aussi le «coup d’État des cours suprêmes», qui ont institutionnalisé une forme de despotisme éclairé nouveau genre, prétendant se substituer à la figure d’un peuple suspecté d’être hostile au progrès, et devant pour cela, c’est notre ajout, être mis sous tutelle et rééduqué. Il s’en prend enfin à la multiplication des contre-pouvoirs qui ont paralysé le pouvoir, en verrouillant les modalités d’expression de la souveraineté populaire.

Ce diagnostic, valable pour l’ensemble des pays occidentaux, conduit à une conclusion frappante: nous ne vivons plus vraiment en démocratie. Les institutions qui caractérisaient cette dernière sont encore en place, mais sont neutralisées et n’ont plus de pouvoir. Les élus, même ceux qui sont au gouvernement, ne sont plus qu’un contre-pouvoir dans un dispositif institutionnel qui leur échappe de plus en plus. Les élections sont maintenues à la manière d’un rituel de validation du système, mais ne sont plus jugées en droit de faire émerger un pouvoir qui contesterait ce nouveau régime postdémocratique. On voit d’ailleurs la crise de panique de la classe dirigeante quand surgit quelque part la possibilité d’une victoire de la droite «populiste» ou du camp national.

Cette réflexion tranche avec l’idéologie dominante, qui au nom de la transparence, de l’efficacité technique, ou d’une conception fantasmée de l’État de droit, en est venue à dépolitiser l’État, à le vider de sa substance, et cela encore plus dans le cadre de l’Union européenne, qui s’est constituée à la manière d’un empire sans le nom se donnant le droit de sermonner, de punir et même de mater ses pays dissidents, qu’elle traite comme des provinces rebelles, historiquement retardataires, politiquement réactionnaires. Pour en revenir à la France, le cadre politique dans lequel se posent les problèmes du pays ne permet pas de les résoudre, ni même de les envisager avec une vision d’ensemble.

L’État de droit, aujourd’hui, fait surtout référence à la judiciarisation du politique, où la souveraineté est entravée au nom d’une idéologie qui se réclame des « droits fondamentaux »

On le voit régulièrement lorsqu’il est question de «l’état de droit». Si on entend par-là la défense des libertés publiques fondamentales, il suscite naturellement l’adhésion à peu près unanime de la population. Mais, encore une fois, le sens des mots évolue, et charrie avec lui une philosophie nouvelle. L’État de droit, aujourd’hui, fait surtout référence à la judiciarisation du politique, où la souveraineté est entravée au nom d’une idéologie qui se réclame des «droits fondamentaux» et qui prétend gainer les États au nom de traités auxquels il faudrait se soumettre car ils relèveraient d’engagements internationaux sacralisés. Le périmètre de la décision politique légitime ne fait que se rétrécir.

Il suffit dès lors qu’un parti politique propose une réforme allant à l’encontre de ce dispositif juridique tentaculaire et presque insaisissable pour se faire expliquer qu’il va contre le droit, comme si ce dernier était désormais de nature divine, révélée, transcendante, comme s’il ne représentait pas une philosophie politique discutable, que les hommes et les femmes d’un pays pourraient remplacer démocratiquement par une autre philosophie engendrant un autre droit. On semble congédier à l’avance l’idée que si le «droit» empêche telle ou telle décision politique, il est toujours possible de le changer.

Le régime politique occidental n’est plus démocratique - à moins de définir la démocratie non plus à partir de la souveraineté populaire, mais à la manière d’un processus historique censé permettre l’accomplissement de la société diversitaire, pilotée par une technocratie et des juges, nouvelle aristocratie s’emboîtant dans une oligarchie plus vaste. Dans quelle mesure est-il alors possible de restaurer la démocratie? Ceux qui s’engageront politiquement dans cette avenue seront politiquement extrême-droitisés, quelle que soit l’étiquette politique qu’ils revendiquent pour eux-mêmes. Car un régime se défend violemment contre ceux qui le dévoilent et combattent, en posant ouvertement la question de la légitimité. Historiquement, c’est à cette étape que nous sommes rendus.