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CORRELATs
- Famille, travail, fête : trois dons de Dieu, trois dimensions de notre existence qui doivent trouver un équilibre harmonieux.
- ...Une espèce humaine inconnue «hante» le génome de certains Africains de l’Ouest 20-02-2020
..... CARTE DE VOEUX 2018 >>>>> |
....CARTE DE NOEL 2017 ......>>>>>>>> |
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ARTICLES
- 6) .... Le conte de Noël est une façon douce de moraliser les jeunes générations ...
- 5) ....L'émerveillement de la crèche ...La crèche, c'était la naissance d'un enfant, d'une famille, d'une communauté. C'était la chaleur en plein hiver, c'était le ciel étoilé dans le gel de décembre, c'était la lumière dans l'obscurité de la nuit. La crèche consacrait la famille, celle composée du père, de la mère et du fils, et célébrait la maison, même si elle rappelait une grotte nue, domicile provisoire.
- 4) ....Pierre Adrian : «À Noël, l'enfant que nous étions retrouve sa place» «La simplicité de l'enfance protège l'homme. Peut-être Noël doit-il être un moment de grâce où l'enfant que nous étions retrouve un temps sa place.»
- 3) ...Natacha Polony : «Noël, et paix dans la République» ....La laïcité s'abîme désormais dans le consumérisme festif et le «respect dû aux individus». Nul ne se souvient plus de cet incroyable moment de trêve que constituait Noël, comme symbole de l'espérance. Mais nul ne comprend plus non plus que la République française a placé son espérance en l'homme, tiré de l'obscurantisme par le savoir et la curiosité au monde.
- 2) ....Fabrice Hadjadj : «L'Incarnation, dernier rempart contre le transhumanisme et l'islamisme».....Je ne veux pas déserter mon poste. Si la providence m'a fait naître à cette époque, c'est pour faire avec. Marx a très bien montré que les «robinsonnades» étaient complices de la logique capitaliste: on prétend retourner à la nature, refaire le monde avec quelques vieux outils sur une île déserte, mais par là on ignore que l'homme est par nature l'héritier d'une histoire, et l'on renforce le fantasme du self-made-man. Alors la vie simple, oui, bien sûr, qui ne voudrait d'une vie simple, au fond?
- 1) ....François d'Orcival : «Joyeuses fêtes contre joyeux Noël…» .... Il y a depuis quelques années une «bataille de Noël» en Occident. Ceux qui défendent Noël, fête religieuse et familiale, sont en train de perdre du terrain face à ceux pour qui ce n'est plus qu'un moment de réjouissance aux racines coupées comme celles des sapins. Le «joyeux Noël» bat en retraite contre le «joyeuses fêtes». Donald Trump s'est mis de la partie en invitant les Américains à continuer à dire «joyeux Noël» ce qui accentue la tendance de ses adversaires à répéter «joyeuses fêtes».
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Le conte de Noël est une façon douce de moraliser les jeunes générations
evue des Deux Mondes – Avant de parler des contes de Noël, qu’est-ce qu’un « noël » ?
Eryck de Rubercy – Par sa mélodie, comme par son mètre, le « noël » appartient au genre de la chanson : les plus anciens recueils, qui datent de la fin du XVe siècle, annoncent presque toujours dans leur titre qu’ils contiennent des chansons de noël. Si ce titre précise bien que leur objet est la Nativité, le noël n’est pas pour autant un cantique pieux dont l’usage normal serait à l’église. Il est alors fait pour animer les veillées familiales de l’Avent et du temps de Noël autour de l’âtre.
C’est l’expression naïve et joyeuse de la foi populaire au mystère de l’Incarnation, dans un chant qui, ordinairement, n’a pas une allure religieuse. Et d’ailleurs dans la production immense de ces chansons, le plus souvent anonymes, il y en a dont l’intérêt ne se concentre pas sur des épisodes se rattachant plus ou moins à la Nativité mais plutôt sur les festivités du réveillon. La truculence de certains noëls égaya tout spécialement Rabelais, ce qui nous renseigne également sur la vogue des noëls à son époque.
Revue des Deux Mondes – Comment la chanson de Noël s’est-elle faite liturgique ?
Eryck de Rubercy – L’esprit de foi a fait qu’on ne trouva pas étrange parfois de chanter à l’église ce qu’on chantait chez soi, au coin du feu, de sorte que très vite l’esprit chrétien y a gravé son empreinte en donnant une allure rituelle et solennelle à ceux en particulier de ces noëls qui contenaient déjà une prière. Sinon, en empruntant aux chansons profanes, voire très profanes, leur mélodie, on en transposait les paroles.
« La littérature des Noëls s’est multipliée sur toutes les terres catholiques de France avec un accent de terroir plus ou moins marqué. »
Grâce à cette veine populaire du début, la littérature des Noëls s’est ainsi multipliée sur toutes les terres catholiques de France avec un accent de terroir plus ou moins marqué. Enfin, il faut se souvenir que c’est au moment où l’humanisme fit cesser les représentations des Mystères et des Miracles que les noëls connurent un essor considérable par une mise facile en chanson de ce qu’on ne pouvait plus voir de ses yeux.
Revue des Deux Mondes – La ferveur religieuse qui entoure la fête de Noël remonte-t-elle vraiment à ce moment où les noëls devinrent des cantiques pieux ?
Eryck de Rubercy – C’est au cours du IVe siècle qu’apparaît la solennité commémorant le jour de la naissance de Jésus. D’où le mot « Noël » qui vient de l’expression latine dies natalis signifiant « jour de naissance ». Plus tardivement, au VIe siècle, cette fête a été précédée du temps de l’Avent à compter du début décembre, marche progressive vers la Nativité. L’Avent était ainsi étroitement associé à la préparation de Noël. On achète d’ailleurs toujours aujourd’hui des calendriers de l’Avent, particulièrement en Allemagne, y compris dans les régions luthériennes.
« Durant l’Antiquité chrétienne et le premier Moyen Âge, Noël fut une fête simple dans sa structure, sans liturgie particulière. »
C’est à cette pratique ancienne de fêter l’Avent que se rattache en réalité cette tradition des chants de Noël avant qu’ils ne soient intégrés beaucoup plus tard dans l’office liturgique. Car, durant l’Antiquité chrétienne et le premier Moyen Âge, Noël fut une fête simple dans sa structure, sans liturgie particulière. Il y avait bien eu, dès le Ve siècle, des hymnes écrits en latin mais qui s’étaient peu à peu effacé devant ce chant plus populaire associant des airs très anciens de nature souvent non religieuse à des paroles nouvelles destinées à célébrer la Nativité.
Revue des Deux Mondes – Quelle a été l’évolution des chants de Noël ?
Eryck de Rubercy – En tant qu’exemple de ces chants populaires, nés entre le XIIe et le XIVe siècle, il faut citer In dulci jubilo de Henri Suso. Ornés parfois de vers de mirliton, ils constitueront par la suite l’essentiel du répertoire des quêtes et des tournées de Noël. Les noëls dansés furent aussi très en faveur au Moyen Âge, en France notamment, où l’on dansait la « bergerette ». Mais c’est l’Allemagne qui est vraiment la terre d’élection des chants de Noël, sans doute parce que la Réforme y favorisa leur diffusion et leur multiplication. Luther écrivit lui-même, en 1535, un chant de Noël intitulé Vom Himmel hoch da komm’ich her (Du haut du Ciel je viens à vous).
Si les plus anciens chants populaires y remontent au XIe siècle, ce n’est toutefois qu’à partir du XVIIe siècle qu’y furent composés les plus connus. Es ist ein Ros’ entsprungen (Une rose a éclos) est dû à Michael Pratorius, un maître de chapelle évangélique, mort en 1621. Ihr Kinderlein, kommet (Venez, petits enfants) fut composé par Johann A. Schultz en 1794. Le célèbre O Tannenbaum (Mon beau sapin), tire son origine d’une chanson populaire de Silésie du XVIe siècle. Quant à Stille Nacht, heilige Nacht (Douce nuit, sainte nuit), traduit dans le monde entier, il a été créé à Salzbourg, en 1818, par Joseph Mohr et O du fröhliche, o du selige (Ô toi, joyeux, ô toi saint) est une mélodie sicilienne recueillie par Herder en 1788. Mais il y a aussi quantité de « Christmas Carols » !
Revue des Deux Mondes – Quelle est la place de la littérature dans l’expression de Noël ?
Eryck de Rubercy – Noël a également eu sa place dans l’imagination des poètes. Le XIXe siècle a même produit un genre littéraire de Noël allant du type simple comme la fameuse berceuse de Théophile Gautier, au type solennel comme le célèbre Minuit, chrétiens de Placide Cappeau. Et puis, Alphonse Daudet, Paul Verlaine, Francis Jammes et Paul Claudel, qui ont été des poètes modernes, n’ont pas démérité.
« Des auteurs de noëls préféraient parfois écrire non pas des chansons mais des histoires dialoguées et épisodiques dont les éléments, pris dans les récits de l’Évangile, étaient placés dans leur propre pays et à leur époque. »
Il faut également remarquer qu’au XVIe siècle, la chanson populaire prit parfois pour modèle la poésie de Villon ou de Charles d’Orléans, au XVIIe, celle de Ronsard et des poètes de la Pléiade. Reste que les pieux noëls populaires et la poésie religieuse de Noël semblent aujourd’hui avoir bel et bien vécu. Un décret du 13 septembre 1852 prescrivait déjà la formation d’un recueil de poésies populaires de France englobant les Noëls qui arrivaient largement en tête.
Revue des Deux Mondes – D’où vient la tradition littéraire des contes de Noël ?
Eryck de Rubercy – Aussi bien, répétons-le, le noël n’était pas à l’origine un chant d’église. De la même façon des auteurs de noëls préféraient parfois écrire non pas des chansons mais des histoires dialoguées et épisodiques, dont les éléments pris dans les récits de l’Évangile, étaient placés dans leur propre pays et à leur époque. Veillant à leur donner un manteau de féérie, parfois même oriental, ils en faisaient finalement une légende, un conte.
Jadis, les gens de la campagne qui se contentaient d’une foi naïvement curieuse se les racontaient dans les maisonnettes autour du feu ou se les faisaient débiter sur la place publique. Elles leur faisaient oublier leur vie dure en remplissant leurs longues soirées d’hiver quand revenait la fête de Noël. En Allemagne, le pluriel Weihnachten (« nuits consacrées »), utilisé de pair avec le singulier Weihnacht, rappelle d’ailleurs la vieille tradition qui voulait qu’on ne travaillât pas durant non pas un, mais deux jours, le 25 et le 26 décembre.
Revue des Deux Mondes – À partir de quand cette tradition orale du conte a-t-elle constitué un genre littéraire véritable ?
Eryck de Rubercy – Au XIXe siècle, au moment du renouvellement de la célébration de Noël qui est aussi l’époque où l’humain empiète sur le divin. La crèche qu’on trouve en France dès le XVIIIe siècle, le sapin apparu à Strasbourg dès 1605, et le conte de Noël y jouent désormais un rôle fondamental. Un noyau religieux subsiste mais des éléments tout à fait profanes dans la célébration viennent s’ajouter comme le Père Noël, une création d’origine germanique au XIXe siècle mais dont en vérité les racines profondes remontent à des rites antiques. Son ancêtre, Santa Claus, distribuait le 6 décembre jouets et cadeaux en Allemagne.
« C’est grâce à des immigrants allemands et des soldats de la Hesse enrôlés dans les troupes de George V pendant la guerre d’Indépendance que l’arbre de Noël apparaît très tôt aux États-Unis. »
Et au Père Noël correspond le sapin, tous deux ayant des origines toutes proches et exogènes. Ainsi à Leipzig, en 1765, Goethe fait-il l’éloge de cette coutume des sapins décorés de lumière, qu’il évoquera en 1774 dans Les Souffrances du jeune Werther. Et puis, en 1775, l’arbre de Noël fait son apparition à Berlin. C’est d’ailleurs grâce à des immigrants allemands et des soldats de la Hesse enrôlés dans les troupes de George V pendant la guerre d’Indépendance que l’arbre de Noël apparaît très tôt aux États-Unis. Même diffusion en France, bien qu’un peu plus tardive, puisque c’est en 1837 que l’arbre de Noël est introduit à Paris à l’initiative de la princesse d’origine allemande, Hélène de Mecklembourg, épouse du prince royal Ferdinand-Philippe d’Orléans, ainsi qu’en Angleterre où, en 1841, sous l’influence du prince Albert, allemand de naissance, la reine Victoria procède solennellement à l’allumage d’un sapin au château de Windsor.
« Noël, parce qu’elle est une fête très proche de l’enfance, est un thème tout indiqué pour les contes. »
Et l’on sait à quelles joies de famille donne lieu en Allemagne l’arbre de Noël. Johann Peter Hebel les a chantées à plusieurs reprises dans ses Poésies alémaniques (1803), que je signale au passage avoir été traduites par Max Buchon, dont le nom figure à quelque sommaire de la Revue des Deux Mondes.
Revue des Deux Mondes – Qu’est-ce qui inspire ce foisonnement de contes de Noël au XIXe siècle ?
Eryck de Rubercy – C’est à partir du XIXe siècle que Noël n’est plus nécessairement la fête de l’Enfant-Dieu mais devient véritablement la fête des enfants. Toutes les bourgeoisies européennes, alors en pleine ascension, s’approprient la fête de Noël et la transforment en grand rituel annuel de la famille où l’enfant est projeté au premier rang. Le merveilleux y a naturellement sa place. Il l’avait déjà autrefois en cela que Noël a toujours porté un manteau de féérie, ourlé de légendes qui ravirent bien des générations depuis le Moyen Âge. Or Noël, parce qu’elle est une fête très proche de l’enfance, est un thème tout indiqué pour les contes.
« Le fait que les contes relevaient jusque-là d’une tradition orale explique qu’ils mirent des siècles avant de constituer un genre littéraire véritable. »
Charles Perrault avec ses Contes de ma mère l’Oye (1697) en a été le formalisateur, l’essentiel de son travail ayant consisté en la collecte et la retranscription de contes issus de la tradition orale française. D’ailleurs le fait que les contes relevaient jusque-là d’une tradition orale explique qu’ils mirent des siècles avant de constituer un genre littéraire véritable.
On songe tout naturellement aux fameux frères Grimm qui font paraître, quelques jours avant la Noël 1812, le premier volume de leur collectage de contes pour enfants auxquels avec leurs mots, leur style ils surent donner une unité non moins qu’une valeur littéraire. On songe également à E.T.A. Hoffmann qui fait paraître son conte Casse-Noisette en 1816. Et puis, l’on pense à Charles Dickens dont le Christmas Carol est le premier et plus célèbre des contes, qu’il a écrit en 1843, à une époque où, parcourue par la nostalgie de Noël, l’Angleterre victorienne avait déjà vu paraître en 1822, Some Ancient Christmas Carols de Davies Gilbert, en 1833, Selection of Christmas Carols, Ancient and Modern par William Sandys, enfin en 1837, The Book of Christmas de Thomas Kibble Hervey. Bien évidemment, l’on pense aussi à Hans Christian Andersen dont les contes conviennent si bien à Noël.
Revue des Deux Mondes – Pourtant tous ces contes n’évoquent pas toujours Noël…
Eryck de Rubercy – C’est vrai, la plupart des contes de Noël n’évoquent ni la recherche de l’étable, ni la naissance du Christ, ni la prosternation des rois mages. Il en est un bon nombre qui font par exemple disserter les fleurs et les animaux. Le Moyen Âge est pour beaucoup dans cette fantaisie comme celle de ne pouvoir imaginer la neige sans penser à Bethléem. Mais on voit bien qu’au XIXe siècle, d’une façon générale, le conte est une façon douce de moraliser les jeunes générations, particulièrement en Angleterre. C’est à cette époque qu’on voit apparaître l’idée de charité.
Revue des Deux Mondes – Notre époque n’a-t-elle pas fini par avoir raison du conte de Noël pour enfants ?
Eryck de Rubercy – Les éditeurs Emile-Paul frères, aujourd’hui disparus, publiaient encore en 1939 sous le titre Les plus jolis contes de Noël un livre dans lequel on trouve notamment les noms de Colette, de Claude Farrère, de François Mauriac. Une anthologie des plus beaux noëls du XVe au XXe siècle en France a paru en 1983, et puis une autre, consacrée aux plus beaux noëls, cette fois de la littérature mondiale, est sortie en 1994.
« J.R.R. Tolkien, principalement connu pour ses romans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, a aussi été un formidable auteur de contes pour enfants. »
Plus près de nous, en novembre 2001, cinq journaux européens dont Le Monde invitaient leurs lecteurs à rédiger des contes de Noël dont les éditions Actes-Sud eurent l’idée de faire un livre. Ce ne sont là que quelques exemples. Sinon il arrive que des écrivains écrivent sur la Noël de leur enfance qu’ils ont encore en mémoire, comme Jacques Laurent publiant en 1957 Croire à Noël, un petit livre fait de sept contes qui se terminent tous la nuit de Noël. Mais rares tout de même sont ceux qui se font encore conteurs de Noël.
Reste que les livres de contes de Noël sont régulièrement réédités, que ce soient ceux des frères Grimm, de Dickens ou d’Andersen sans oublier le Livre de Noël empreint de foi religieuse, de Selma Lagerlöf, dont il émane ce qu’on appelle la magie de Noël ou encore les Lettres du Père Noël de J.R.R. Tolkien, principalement connu pour ses romans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux mais qui a été aussi un formidable auteur de contes pour enfants. Et quoi qu’il en soit Noël a toujours aujourd’hui cette image des enfants, Noël est toujours marqué par cet esprit d’enfance qui nous fait rêver.
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L'émerveillement de la crèche ... La crèche, l'émerveillement et la stupidité
Cadeau en cette veille de Noël: cette belle réflexion de Marcello Veneziani sur le sens de la crèche, et ceux qui par stupidité veulent éradiquer le beau symbole (24/12/2017)
La crèche qu'il évoque ici avec nostalgie, même avec ce qu'on peut imaginer de sa richesse iconographique, et peut-être de son caractère baroque (voire "kitsch"), est très éloignée de celle de la Place Saint-Pierre...
La crèche, l'émerveillement et la stupidité
Marcello Veneziani
12 décembre 2017
Ma traduction
* * *
Le jour de l'Immaculée Conception, chez moi, nous faisions la crèche et à la maison je continue la tradition. Quelques jours plus tard, nous la faisions à l'école et c'était un bon moment de tendresse communautaire, de récréation avec la maîtresse et de comparaison puérile entre les différentes petites traditions familiales.
Je voudrais dire aux idiots qui abolissent la crèche pour ne pas offenser les non-chrétiens, ce qu'ils perdent et ce qu'ils font perdre aux enfants.
La crèche, c'était la naissance d'un enfant, d'une famille, d'une communauté. C'était la chaleur en plein hiver, c'était le ciel étoilé dans le gel de décembre, c'était la lumière dans l'obscurité de la nuit. La crèche consacrait la famille, celle composée du père, de la mère et du fils, et célébrait la maison, même si elle rappelait une grotte nue, domicile provisoire.
La crèche était un exemple magique de construction sacrée, à travers le travail collectif; enfants de différentes milieux et de capacités diverses construisaient ensemble une miniature d'univers et d'humanité, une ville d'âmes et de corps, humbles et glorieux.
Et dans cette famille, ils voyaient la leur, même si c'était une famille spéciale, pauvre mais très haut placée, qui accoucha à ciel ouvert, sans sage-femme; dans ce pays qu'on appelait la ville du pain (telle est la signification de Bethléem), ils reconnaissaient la leur; dans ces visages de bergers, de vendeurs et de pèlerins, ils retrouvaient ceux de leurs connaissances.
La crèche était la manière concrète et fabuleuse de représenter l'alliance entre ciel et terre, entre hommes et animaux, entre peuples et souverains, entre Orient et Occident. Dans la crèche, nous voyions pour la première fois ensemble noirs et blancs, Arabes et Juifs, même les mages respectaient l'intégration [/la diversité] parce que l'un des trois était sombre.
Dans la crèche, nous apprenions à reconnaître et à aimer la nature, la beauté des montagnes reproduites dans le papier d'emballage déguisé et tacheté, les rivières et les étangs, même si c'étaient des miroirs dérobés à la vanité féminine, de la vraie mousse et de la fausse neige, et puis les arbres et les palmiers, le ciel étoilé et le prodige d'une étoile comète placée au-dessus d'une grotte, souvent de manière précaire.
Dans la crèche, les animaux les plus humbles acquéraient de la dignité, à commencer par l'âne et le bœuf, les premiers calorifères animés pour un Utilisateur Divin et ses saints conjoints. Et puis il y avait les canards, les moutons et les oies, des chameaux séraphiques se balançaient entre les dunes, un cochon faisait une apparition et les agneaux avaient des visages humains.
La crèche ouvrait les cœurs à l'attente, à la naissance. C'était un exemple de confiance miraculeuse en l'avenir, une communauté fondée non pas sur l'intérêt et l'exploitation mais sur un amour commun pour l'Enfant qui naît et sur une foi qui unit.
Et c'était une célébration de la nativité qui aujourd'hui plus que jamais devrait être propagée dans la société dans laquelle nous nous trouvons.
Qui pourrait offenser une représentation si douce et si inoffensive de la vie, de la religion et de la communauté?
Seuls les héritiers d'Hérode, ou ceux qui préfèrent Jésus avorté à l'Enfant Jésus, peuvent se sentir offensés par la crèche.
De quoi les musulmans devraient-ils se sentir offensés, si même l'endroit de la crèche leur est très familier et qu'il n' y a rien, mais vraiment rien contre leur religion, aussi parce que l'événement de Noël précède Mahomet de quelques siècles?
Et les enfants athées ou simplement non croyants, ou plutôt les enfants d'athées et de non-croyants, en quoi devraient-ils se sentir offensés, par un enfant qui naît, par un tribut d'amour, par le scintillement des anges avec la guitare? Plutôt que l'ange suspendu au ciel, ce qui les frappera peut-être, c'est le fil de fer par lequel ils sont suspendus, mais quel préjudice leur ferait une crèche?
Tout au plus, ce sera pour eux un beau conte de fées, mieux que le Père Noël et Halloween, ou plutôt une "narration", un mythe. Pour ceux qui croient, au contraire, la crèche est le sacré à hauteur d'homme, c'est la sainteté à la maison, la spiritualité qui devient chair, peuple et paysage, une divinité qui prend le monde dans ses bras, et le caresse.
La religion peut être âpre, résolue, elle exige des sacrifices, elle est martyre et sacrifice, elle est parfois l'alibi pour exercer violence et domination; mais pas dans la crèche, c'est un doux exemple de communauté harmonieuse, d'une béatitude domestique, et même musicale.
Puis, lorsque les lumières tout autour s'éteignaient et que seules les lumières de la crèche restaient allumées et que tout le monde avait en main une bougie et qu'une petite procession se formait, dans la salle de classe ou à la maison, pour faire naître l'Enfant, cette communauté devenait communion et vous ressentiez dans cette pièce la magie d'une nouvelle présence.
Tu descends des étoiles et amènes le ciel dans une pièce.
Et ces messieurs, idiots selon le progrès et les directives européennes, voudrait même effacer cette tradition inoffensive et artisanale. Ils enlèvent la maman de l'Enfant Jésus pour la remplacer par la mère des imbéciles qui, comme on le sait, est toujours enceinte.
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Pierre Adrian : «À Noël, l'enfant que nous étions retrouve sa place»
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Auteur de Des âmes simples (prix Roger Nimier 2017), le jeune romancier livre une réflexion très personnelle sur l'esprit de Noël.
LE FIGARO: «C'est une inondation, Noël, et c'est un éboulement», écrivait Philippe Muray. Dans une société déchristianisée comme la nôtre, Noël peut-il avoir encore un autre sens que celui d'une fête consumériste?
Pierre ADRIAN. - Ce n'est pas la surconsommation qui gêne tant. Mais bien plutôt ce qu'elle entraîne: le néant. Je crois que certains athées respectent bien plus la fête de Noël que les croyants. Car ils croient fermement en cette fête familiale, ils vivent ces retrouvailles avec enthousiasme. Elle compte pour eux. Le risque de la «fête consumériste», c'est l'apathie. Voilà ce qui nous guette trop souvent: être blasé. Et c'est la grande lutte du chrétien à Noël. J'aime beaucoup ce poème de Marie Noël dans Le Rosaire des joies :
«Maisons, toutes, apprenez
A ne pas être tant pleines. Gardez pour Dieu nouveau-né
Qu'un pas obscur vous amène, Gardez un vide, un endroit
En vous derrière la fête, Un peu de silence étroit
Pour que dedans Il s'arrête
Au lieu de passer tout droit,
Gardez un petit espace,
Ô maison, pour Dieu qui passe.»
C'est une chance de connaître le mystère de Noël. Il faut préserver en nous cet «endroit». Être un croyant blasé, c'est se comporter comme un enfant gâté.
Sommes-nous encore des êtres religieux?
Oui, je crois que nous sommes encore des êtres religieux. Profondément. Mais nous ne vivons pas l'émotion, le sentiment religieux lors des fêtes de Noël ou de Pâques. Ou alors de moins en moins. J'ai l'impression que l'intimité a pris la première place. On ressent l'émotion religieuse et son besoin lors d'un deuil, d'une épreuve dans la vie. Ou au contraire, lorsqu'on vit un moment de grâce: une rencontre avec un être aimé, la visite d'une église vide, la beauté supérieure d'un Christ en croix, d'une Vierge à l'Enfant. La nature, lorsqu'elle est silence et paix. C'est une réalité sans doute un peu triste, mais nombreux sont ceux qui comme moi ne ressentent pas la présence de Dieu à Noël. L'abondance de consommation dont vous parlez est une des causes. Pas seulement. Il y a une difficulté spirituelle pendant les fêtes religieuses. Certains croyants détestent les dimanches. Alors Noël…
On ne dit plus «Joyeux Noël»mais «Bonnes fêtes»
J'étais il y a quelques jours en Italie, à Bologne. Dans cette ville «rouge», historiquement communiste, vous trouviez partout dans la rue des affiches pour le concert de Noël. Il n'y avait pas une église qui ne vous invite au sien. Sur la Piazza Verdi, devant les murs couverts des slogans d'étudiants d'extrême gauche, j'ai même vu un groupe de prière chanter, sans que cela ne gêne personne. Plus loin, c'était une paroisse qui, en pleine rue, proposait du vin chaud. C'est comme si le rite de Noël n'avait jamais été remplacé, justement, dans un pays dont on dit qu'il n'a plus la foi. Mais le rite est là, «l'objet» tient. Et le Natale catholique a toute sa place. J'ai donc trouvé la différence avec la France assez flagrante, c'est vrai. D'ailleurs, je crois que le «Bonnes fêtes» n'existe pas en italien. On m'a toujours dit «Buon Natale»!
On dit aussi que c'est la «nuit de la paix» ou la «fête de la famille». L'exacerbation de cette fête de fin d'année n'est-elle pas le revers enjoué et illusoire de la solitude et de la violence qui caractérisent parfois nos sociétés occidentales?
Je vous donne un exemple qui va d'abord vous sembler très lointain. Je vais beaucoup dans les stades de football. Et ce sont des lieux de profond décalage, des représentations de notre monde. Avant les matchs, l'UEFA et les ligues nationales vous abreuvent de slogans: «No to Racism», «luttons contre la xénophobie», «stop aux discriminations». Ils envoient ça sur les écrans géants, et les joueurs participent à la campagne de prévention à travers des clips, etc. Tout le monde se donne bonne conscience alors qu'à cinquante mètres, dans les tribunes populaires, vous entendrez des cris de singe, des insultes, vous verrez la violence.
On s'éloigne de Noël, pardon. Pourtant, le paradoxe entre la réalité et le discours, disons «officiel», est le même. Car c'est pendant votre «nuit de la paix» qu'on brûle les voitures. C'est au cours de la «fête des familles» qu'on enregistre les plus forts taux de suicide. On meurt de solitude, et ce ne sont pas les slogans qui cacheront cette misère. Pour reprendre l'image du stade, il y a plusieurs Noël: celui de la tribune présidentielle, des loges VIP, qui se fête en champagne cravate. Et le Noël des tribunes populaires, qui est simplement une nuit de plus à passer, froide et cafardeuse comme jamais.
Dans votre roman, Des âmes simples, vous évoquez la vie d'un vieux prêtre dans les Pyrénées et racontez le Noël que vous avez passé en sa compagnie. Noël doit-il être selon vous cette occasion de retrouver une «âme simple»?
Le monastère de Pierre, dans la vallée d'Aspe, c'est l'étable du XXIe siècle. Et j'y ai vécu un de mes plus beaux Noël. On est encore dans le poème de Marie Noël:
«Entre là qui veut. Les fous
Les rôdeurs, les rien qui vaille,
Les faiseurs de mauvais coups
Par terre ont usé la paille
Et laissé dedans leurs poux.»
Voilà, c'est aussi ça, la petite église de Sarrance. La simplicité d'une porte ouverte.
Cette simplicité a-t-elle à voiravec l'esprit d'enfance?
Noël est cette fête cruelle qui, pour beaucoup, nous éloigne chaque année un peu plus de l'enfance. Beaucoup se disent: il y a ces émerveillements que je ne retrouverai plus: les quatre bougies qu'on allumait une à une, chaque dimanche de l'Avent. La confection de la crèche un mercredi après-midi. La promesse de longues vacances. Le petit Jésus que j'installais dans la crèche au retour de la messe de minuit…
L'adulte que l'on devient ne cherche plus à retrouver ces joies-là. Ou souhaite les vivre par procuration avec ses propres enfants. Pourtant, il reste «l'esprit», oui. L'esprit d'enfance exacerbé lors de la magie de Noël. Dans ses Papiers collés, Georges Perros écrit: «L'enfance ne peut plus être en nous, mais constituer une espèce de périphérie, de corps extérieur. L'enfance va protéger l'homme.» La simplicité de l'enfance protège l'homme. Peut-être Noël doit-il être un moment de grâce où l'enfant que nous étions retrouve un temps sa place.
Pensons aussi aux mots de la mère prieure, agonisante, dans lesDialogues des Carmélites de Bernanos: «Une fois sorti de l'enfance, il faut très longtemps pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit, on retrouve une autre aurore. Suis-je redevenue enfant?...»
Ce cri au moment de la mort est déchirant. Dans les heures exceptionnelles de notre vie, il faut revenir à l'enfance. Oui, pour que chaque Noël reste une exception, redevenons enfant.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 23/12/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
- François Walter: «On est passé du Noël chrétien de l'espérance au Noël laïcisé de la nostalgie»
- Ces parents qui refusent de faire croire au Père Noël à leurs enfants
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Natacha Polony : «Noël, et paix dans la République»
CHRONIQUE - L'«esprit de Noël» du monde actuel n'a plus rien à voir avec le symbole d'espérance qu'il était à l'origine. La laïcité, conçue aujourd'hui sous l'angle libéral, s'abîme dans le consumérisme festif et le «respect dû aux individus».
De l'autre côté de la planète, dans cette Chine qui marie sans complexe communisme et capitalisme, les nouvelles classes supérieures urbaines se mettent à fêter Noël, avec force guirlandes et paquets cadeau. Une communion planétaire dans le nouvel «esprit de Noël», au moment où l'Occident adopte progressivement, avec une prudence compassée, le vocable «fêtes de fin d'année», pour ne vexer personne. L'humanité se rassemble, non dans le symbole oublié d'un Dieu s'incarnant dans la fragilité d'un enfant, mais dans l'effervescence du consumérisme festif. Tel est la nouvelle transcendance, la seule, croit-on, à pouvoir abolir les clivages et les haines: celle du divin marché.
Le premier ministre répondait cette semaine à l'hebdomadaire La Vie. Il confiait avoir été baptisé à sa demande à l'âge de dix ans, il expliquait n'être plus croyant mais «respecter ceux qui croient» et cultiver «une vraie révérence pour le sacré» dont l'humanité «ne peut se départir complètement». Autant de réflexions en demi-teinte, sans la plus petite ébauche d'analyse de ces enjeux qui pourtant surgissent dans les écoles ou les mairies, autour d'une statue ou dans une rue transformée en salle de prière, et qui font du débat public un champ de mines. Mais le plus frappant est dans cette insistance, qu'il partage avec le chef de l'État, à n'aborder la laïcité que sous l'angle de la liberté, régulée par une règle de droit, la loi de séparation des Églises et de l'État. Une loi qui «permet à la liberté individuelle de s'épanouir».
Un tel credo méconnaît une des conséquences les plus évidentes du libéralisme tel que le développent les sociétés contemporaines. L'anthropologie libérale, qui ne conçoit la société que comme une somme d'individus dont les éventuels intérêts divergents sont régulés par le droit et le marché, en dehors de toute définition de valeurs communes ou même d'une mémoire partagée, aboutit à laisser la puissance publique totalement démunie face à ces croyants qui revendiquent la liberté de manifester leur foi même dans sa dimension la plus sectaire, au nom du respect de leurs droits individuels.
Le meilleur exemple est dans les manifestations de ces croyances au sein de l'école, où des élèves refusent certains enseignements. Le ministre de l'Éducation nationale, bien sûr, a prévu des «unités laïcité», censée rappeler aux professeurs en déshérence leur rôle de représentant de l'institution. Mais des voix se sont aussitôt élevées pour mettre en garde contre les risques de «stigmatisation» et d'«islamophobie». Ce qui devrait inciter notre bienveillant premier ministre à réfléchir avec un peu plus d'acuité sur les rapports complexes entre respect des individus et rôle de l'école républicaine.
Le sociologue Gérald Bronner le rappelait dans un excellent texte publié dans Le Point, il est des campus américains qui usent du «trigger warning», un avertissement aux étudiants pour leur signifier que les contenus de certains cours pourraient les choquer. La démocratie libérale à l'américaine, en érigeant le «respect des individus» en valeur suprême, rend impossible toute transmission apaisée de savoirs universels. L'école ne peut donc y être qu'un développement des compétences des élèves, vidé de tout contenu apte à les sortir de leur possible obscurantisme. C'est cette évolution que connaît depuis quelques décennies l'école française, dont on a peu à peu évacué les savoirs universels et la raison, pour n'y cultiver que les capacités à s'exprimer et l'épanouissement personnel.
Le premier ministre se dit favorable à un enseignement du fait religieux à l'école. Cela s'appelle un cours d'histoire. Un cours qui puisse expliquer aux élèves que la nature du christianisme a changé quand il est devenu religion officielle de l'empire romain, que le Coran n'est pas incréé mais qu'il a fallu deux siècles d'exégèse pour en établir le texte précis, qui relève donc d'une interprétation. Un cours qui fasse comprendre ce qu'a pu être un Occident dans lequel la religion imprégnait chaque vie, et pesait sur les destins. Un cours qui raconte comment l'homme a peu à peu appris à se penser en dehors des catégories du divin, et comment l'humanisme et les Lumières ont peu à peu dessiné la possibilité d'une foi en l'homme et en la raison, comme instrument de l'émancipation individuelle et collective.
La laïcité s'abîme désormais dans le consumérisme festif et le «respect dû aux individus». Nul ne se souvient plus de cet incroyable moment de trêve que constituait Noël, comme symbole de l'espérance. Mais nul ne comprend plus non plus que la République française a placé son espérance en l'homme, tiré de l'obscurantisme par le savoir et la curiosité au monde.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 23/12/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Fabrice Hadjadj : «L'Incarnation, dernier rempart contre le transhumanisme et l'islamisme»
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FIGAROVOX/ENTRETIEN - Le philosophe* publie un recueil de chroniques où il mêle des réflexions inspirées de la vie quotidienne sur le sexe, la religion, la technique et le travail. Entre Houellebecq et Chesterton, il nous livre une savoureuse critique de l'époque. Et nous rappelle le sens du mystère de Noël.
LE FIGARO. - Dans votre livre, Dernières nouvelles de l'homme (et de la femme aussi), vous chroniquez le devenir de notre humanité, menacée par l'emprise grandissante de la technique. Seriez-vous technophobe, ou pire «décliniste»?
Fabrice HADJADJ. - En vérité, je suis absolument technophile. L'enjeu, à mes yeux, est même de sauver la technique. Car la technique n'a jamais été autant en recul qu'aujourd'hui. Un personnage de Houellebecq dans Les Particules élémentaires en fait l'aveu: «Mes compétences techniques sont largement inférieures à celle d'un homme de Neandertal.» Jusqu'à une époque récente, l'homme a eu des mains, organes très spirituels, de réceptivité plus que de préhension, sortes de fleurs animées capables de faire fleurir le monde, d'étoiles de chair pouvant saluer, bâtir, offrir, rayonner sur les choses. Mais l'organisation technologico-marchande a fait de nous des manchots. Le progrès technologique est le plus souvent une régression technique. Au lieu de jouer d'un instrument de musique, on clique sur une playlist. Au lieu de faire des choses, on les achète, grâce au salaire gagné à gérer des tableaux Excel et des présentations PowerPoint. L'innovation n'a pas besoin de moi pour être critiquée: elle suppose l'obsolescence de ses merveilles ; pour mieux nous tenir en haleine dans l'oubli de nos mains, elle ne cesse de se détruire d'elle-même. Supposez que j'adhère pleinement à l'idée que l'iPhone X est vraiment le gadget ultime, avec son application Face ID, qui permet de convertir votre visage en moyen de paiement: Apple m'interdira de le faire, parce qu'il y aura l'iPhone XI puis le XII, et que je dois mettre une croix sur le X. Bref, un marteau a plus d'avenir que n'importe quel smartphone. J'ai d'ailleurs un marteau et une guitare qui appartenaient à mon père (il ne m'a pas légué son Blackberry 5790). C'est donc l'hégémonie technologique qui tend à favoriser le déclin de l'humain. Rien n'est plus décliniste même que les espoirs du transhumanisme: son projet n'est-il pas de nous désincarner, de remplacer le logos par le logiciel, et les savoir-faire par l'imprimante 3D? Il s'agit donc moins de tracer une limite entre bonne et mauvaise technologie que de comprendre que la technologie n'est bonne que si elle se met au service de la technique. Il est bon, par exemple, de regarder une vidéo YouTube pour redécouvrir la cuisine de grand-mère, faire un potager, coudre un vêtement ou menuiser un meuble…
Vous prônez le retour à une vie simple, le goût du foyer et de la décroissance. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de vouloir retourner à la bougie ou de vivre comme un amish?
J'aime bien les amish, je l'avoue. J'ai la naïveté de penser que cultiver la terre, se déplacer à cheval et lire la Bible en famille est tout de même mieux que de faire du trading haute fréquence, prendre le RER et consommer du Netflix. Cependant, je ne prône aucun «retour». Je ne veux pas déserter mon poste. Si la providence m'a fait naître à cette époque, c'est pour faire avec. Marx a très bien montré que les «robinsonnades» étaient complices de la logique capitaliste: on prétend retourner à la nature, refaire le monde avec quelques vieux outils sur une île déserte, mais par là on ignore que l'homme est par nature l'héritier d'une histoire, et l'on renforce le fantasme du self-made-man. Alors la vie simple, oui, bien sûr, qui ne voudrait d'une vie simple, au fond? Mais on n'y arrive pas sans drame. Ni sans composition - sans modus vivendi. Mon ton est d'ailleurs moins prescriptif que descriptif. Je ne crie pas: «Vive la décroissance!» J'observe seulement que la consommation des marchandises nous a fait perdre la pratique des choses. S'il fallait me rapprocher de certains courants politiques, j'évoquerais le mouvement Arts and Crafts de William Morris, et plus encore le distributisme de Chesterton (tous deux admirés par Houellebecq, du reste). À égale distance du socialisme et du capitalisme, et de leurs monopoles d'État ou de multinationale, ils préconisaient non pas une meilleure répartition des revenus (laquelle ne conteste pas la suprématie monétaire et marchande), mais une juste distribution des moyens de production, dans un éloge de la petite propriété familiale. À vrai dire, c'est une vieille histoire. Elle se trouve déjà dans la Genèse. Quand Laban propose à Jacob un meilleur salaire, celui-ci lui répond: «Et moi, maintenant, quand vais-je travailler pour ma maison?» (Gn, XXX, 30).
Vous êtes un grand défenseur de la différence des sexes. À l'heure où le désir est soit criminalisé par un féminisme puritain soit caricaturé par l'univers marchand, quel regard portez-vous sur les relations hommes-femmes?
Là encore, je ne suis pas un défenseur des sexes, je remarque simplement que j'en ai un, assez capricieux, d'ailleurs, et qui n'est pas l'autre. Si seulement nous étions encore dans la guerre des sexes, genre Lysistrata! Mais non, ce qui se joue à cette heure c'est la concurrence victimaire et le contentieux contractuel. Je m'explique. Nous devons dénoncer le harcèlement, le viol et rendre justice, mais le mode de dénonciation qui est en cours a des soubassements néo-libéraux, qui n'ont rien à voir avec les sexes. On veut dénier l'obscurité du désir, on prétend que toutes les relations devraient se dérouler comme le contrat passé entre deux agents rationnels dont les intentions sont parfaitement transparentes. Pour éviter toute accusation éventuelle, les maris auront la prudence d'obtenir un consentement signé de leur épouse, et éventuellement de la payer pour son «travail émotionnel». Mais ça ne marche pas comme ça. Et même ça ne marche jamais. La polarité sexuelle ne pourra jamais être réduite à un marché passé entre deux contractants. Emmanuel Lévinas disait qu'elle contenait toujours une part d'adoration et de profanation. Il faut donc lutter - d'abord en soi-même - contre la violence faite aux femmes, mais il faut aussi admettre que le désir qui pousse un homme vers une femme - et réciproquement - n'a rien à voir avec la fiction de l'agent rationnel telle que l'invente la théorie économique moderne.
Dans l'une de vos chroniques, vous faites un lien entre terrorisme et technocapitalisme… Selon vous, la propagation de l'idéologie djihadiste trouve un terreau favorable dans la mondialisation spectaculaire et marchande?
L'affrontement entre consumérisme et islamisme n'est que superficiel: c'est la même forma mentis ; dans les deux cas, il s'agit d'atteindre le paradis en appuyant sur des boutons. Daech n'a rien d'un retour des prétendues ténèbres médiévales. C'est un mouvement postmoderne, constitué par des individus déracinés, qui se recrutent par Internet, qui font des selfies avec kalachnikov et des vidéos d'égorgement dans des mises en scène de série télévisée, enfin qui subsistent grâce aux pétrodollars. Leur «Dieu» ne s'est pas fait chair. Il n'est ni charpentier ni talmudiste - ce qui leur aurait donné, avec le sens du concret, un certain sens de l'humour. Le djihadisme est peut-être une réaction au vide occidental, à son absence de sens ou de transcendance, mais c'est aussi une extension de ce vide, une perte radicale de la terre, de la culture et de l'histoire.
Vous terminez votre recueil par un «conte de Noël». À l'heure où la consommation a pris le pas sur le rite, quel sens peut encore avoir cette fête chrétienne?
Nous en arrivons à la consommation des siècles. Notre système est très fragile. La collapsologie est devenue une science très en vogue. La dinde aux marrons peut grossir jusqu'à nous boucher la vue, le fait est là: la pie-grièche à ventre rose disparaît du territoire français. Nous n'en sommes qu'au début de la disparition des espèces et des énormes flux migratoires consécutifs au réchauffement climatique. Le black-out n'est pas loin qui éteindra toutes les illuminations des artères commerciales: heureux ceux qui auront encore des bougies! Quant aux cyborgs, qu'on nous présente comme des immortels, ils ne trouveront plus à recharger leurs prothèses ou à changer leurs pièces, et ils tomberont en panne. En fait, je ne suis ni décliniste ni progressiste. Je suis très simplement apocalyptique. Nous sommes les premières générations à être assurées non seulement que «les civilisations sont mortelles», comme disait Valéry, mais que l'espèce humaine est vouée à l'extinction - à plus ou moins long terme. Quel est le sens de cette certitude? Et pourquoi continuer, dès lors, avec l'aventure humaine? Il faudra bien, une fois que les écrans ne s'allumeront plus, que l'on se pose pour de bon la question. Alors on apercevra peut-être l'étoile au-dessus de l'étable de Bethléem: ce bébé juif qui paraît au milieu de la nuit, entre sa mère, son père, le bœuf et l'âne, l'adoration des bergers et des rois, c'est l'Éternel qui nous dit qu'il est bon d'être humain, d'avoir un corps, de travailler de ses mains, de parler du ciel à travers les simples choses de la terre, et que même si le monde devait disparaître demain - la figure de ce monde passe, dit saint Paul - il faudrait encore tenir notre poste, planter des arbres, élever des enfants, leur transmettre la poésie de la louange et de la supplication. Ce mystère de l'Incarnation sera le dernier rempart contre le transhumanisme, l'islamisme, l'animalisme, le spiritualisme et toutes les autres formes contemporaines de la désespérance.
Directeur de l'université Philantropos. Il publie «Dernières nouvelles de l'homme (et de la femme aussi)», Taillandier, 352 p., 18,90 €.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 22/12/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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François d'Orcival : «Joyeuses fêtes contre joyeux Noël…»
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Le christianisme perd du terrain ne serait-ce que sur le plan culturel, la supplantation du «joyeux Noël» au profit du «joyeuses fêtes» n'est que le sommet de l'iceberg.
Il y a depuis quelques années une «bataille de Noël» en Occident. Ceux qui défendent Noël, fête religieuse et familiale, sont en train de perdre du terrain face à ceux pour qui ce n'est plus qu'un moment de réjouissance aux racines coupées comme celles des sapins. Le «joyeux Noël» bat en retraite contre le «joyeuses fêtes». Donald Trump s'est mis de la partie en invitant les Américains à continuer à dire «joyeux Noël» ce qui accentue la tendance de ses adversaires à répéter «joyeuses fêtes».
L'institut d'études américain Pew Research Center vient de publier une enquête à ce sujet : en 2013, 59 % des Américains affirmaient qu'ils célébraient Noël comme une fête religieuse. Ce pourcentage a reculé de quatre points: ils ne sont plus que 55 %. De même, 54 % répondaient en 2013 qu'ils iraient à l'église pour Noël ; ils sont 51 %… Un glissement significatif pour un peuple réputé aussi religieux.
Une telle enquête serait pire en France où la sécularisation est telle que la présence de croix ou de crèches dans l'espace public est passible des tribunaux. Faut-il s'en étonner? Dans la livraison d'hiver de la revue Commentaire, le grand essayiste des problèmes religieux contemporains, Alain Besançon, rappelle ceci: «94 % des Français étaient baptisés en 1960. Ils ne sont plus qu'un tiers aujourd'hui. La messe dominicale est suivie par 3 % des catholiques.» Cette hémorragie, l'Eglise a cherché à l'arrêter ; mais, en se coulant dans les dérives du temps, ne l'a-t-elle pas encouragée? En négligeant leurs rites, en délaissant le sacré, les catholiques n'ont-ils pas perdu leur identité?
» LIRE AUSSI - Est-il encore possible d'être chrétien dans un monde qui ne l'est plus?
Le chercheur Hakim el-Karoui, qui publie en janvier une étude sur l'islam en France chez Gallimard, révèle que nous avons désormais plus de musulmans pratiquants (2 à 3 millions) que de catholiques pratiquants (1,6 million) - dans un pays de racines chrétiennes! Or dans la bataille idéologique qui se livre au sein de l'islam, le salafisme l'emporte en s'étant emparé du terrain de l'identité (fréquentation des mosquées, port du voile, alimentation halal).
Et puis, il y a la démographie! Le même institut de recherches américain cité plus haut nous promet que nous allons passer, d'une moyenne de 4,9 % de musulmans au sein de la population européenne, chiffre actuel, à 7,4 % en une génération - et sans immigration massive. Joyeux Noël!
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